Chapitre 6 : Quitte ou double

     Lorsque Delfyn ouvrit les yeux, elle fut prise d’un instant de panique avant de se rappeler des derniers instants avant que la brume du bracelet d’Ezarel ne l’endorme. Ses yeux parcouraient les environs ; elle était au pied d’un arbre, au cœur d’une forêt. Elle semblait être si loin du QG qu’elle ne reconnaissait pas les alentours. Ce genre de végétation sèche ne se trouvait pas proche de la plaine, ils avaient dû s’enfoncer bien loin dans les bois. La jeune femme se frotta les yeux. Elle avait l’impression d’avoir dormi des jours tant son sommeil avait été profond. Un peu plus loin sur une énorme pierre était assis Ashkore qui releva la tête vers elle lorsqu’elle bougea pour se redresser.

“Je vois que tu as enfin fini de ronfler.
_ Bonjour à toi aussi, Ashkore.”

Ses iris balayaient à nouveau les environs, la faune et flore si différente d’Eel. Elle avait quitté Dynn depuis plusieurs années, parcouru nombreux endroits ces années passées, mais certaines espèces lui étaient encore inconnues.

“C’est donc ici que tu te caches.
_ Tu me crois stupide au point de te montrer mon repère dès le premier jour ?”

Son rire narquois fit serrer les dents à Delfyn, qui agacée par un tel traitement à peine réveillée, lança un regard glacial à son hôte.

“À moins que tu espérais déjà te retrouver dans mon lit, ajouta sarcastiquement le masqué.
_ Désolée c’est pas mon truc les armures laides, répliqua Delfyn avec une grimace.”

La jeune fée n’écouta même pas la réponse de l’homme, son regard parcourait le campement de fortune qui avait été monté. Quelques victuailles traînaient près du bois qui avait brûlé dans la nuit, et Delfyn se pencha pour attraper un morceau de pain. Tout en ignorant le regard d’Ashkore posé sur elle, la jeune femme croqua dans la croûte afin de remplir son estomac.

“Pourquoi tu voulais que je te rejoigne ?
_ Tes pouvoirs m’intéressent.
_ Quoi, ça ?”

Un rictus sur les lèvres, la fée fit apparaître un petit papillon noir au creux de sa paume qu’elle laissa s’envoler pour retrouver la trace de Miiko et lui signifier qu’elle allait bien.

“Pas de ça avec moi, j’ai entendu tes exploits dans la forêt.
_ Et je ne compte pas en parler, répliqua sèchement la dynnienne.
_ Moi qui espérait que notre alliance se déroule sans incident.
_ C’est sûr qu’avec tes menaces dissimulées elle a toutes ses chances de bien se dérouler.” soupira la jeune femme en faisant rouler ses yeux vers le ciel.

Tout en observant un peu plus les alentours, Delfyn remarqua qu’ils n’étaient pas seuls. Un peu plus loin, des cheveux d’un rouge flamboyant avaient accroché son regard. Un homme d’une vingtaine d’années surveillait la forêt de son regard sombre. À en croire les oreilles qui dépassaient de sa longue chevelure, il s’agissait d’un elfe. Il avait un certain charme mais son air peu commode lui fit presque regretter l’elfe bleu qui devait se réjouir de son absence.

“Et lui c’est qui ? désigna Delfyn en faisant un signe de tête vers l’elfe.
_ Collynn. Il est là pour m’aider à surveiller ton joli minois.
_ Et tu le sors d’où ?”

Le soupir agacé d’Ashkore sembla résonner dans la forêt. Le répondant et le comportement de la pixie commençait à le tendre.

“Tu poses trop de questions à mon goût, Delfyn.
_ Il faut bien que je sache dans quoi je m’embarque. En tout cas j’espère qu’il est moins grognon que son adorable chef.
_ Il a interdiction de te parler.
_ Eh bien ça c’est de l’accueil. Où est la banderole “Bienvenue parmi les méchants Delfyn” ?”

La pixie affichait un sourire malicieux. Chercher l’ennemi de la garde était bien trop satisfaisant à son goût. Bien qu’elle le voyait bouillir assis de l’autre côté des cendres, Delfyn avait le pressentiment qu’il n'était pas aussi féroce qu’il le faisait croire, qu’il ne lui ferait aucun mal.

“Cesse ton insolence ou tu pourrais bien le regretter, menaça l’homme à l’armure.
_ Par l’Oracle, tu es toujours aussi grincheux ?
_ Avec les emmerdeuses de ton genre oui.
_ Excuse-moi j’ai mal compris, j’ai cru que tu m’avais supplié de te suivre.”

Delfyn avait sûrement eu le mot de trop. D’un geste vif, Ashkore se retrouva face à la pixie, sa fine dague collée contre la gorge de la jeune femme. Elle pouvait sentir l’aura menaçante et la colère qui habitait l’ennemi de la garde.

“Il me semblait t’avoir mise en garde. Ne me fais pas regretter de ne pas t’avoir achevé dans la prison miteuse où tu chouinais.”

Avalant difficilement sa salive, la pixie sembla enfin se calmer. Ashkore n’était pas du genre à plaisanter, tant pis pour lui s’il souhaitait rester bougon. Delfyn persistait à croire qu’il ne lui ferait aucun mal. Elle en était anormalement persuadée, et elle comprenait difficilement pourquoi ni comment un tel être ne lui créait aucune crainte. Son visage trahissait une grimace en sentant l’acier froid qui, pressé ainsi contre sa peau, lui créa une légère entaille de laquelle s’écoulait un filet de sang, comme pour répondre ironiquement à son absence de crainte face à Ashkore. Constatant son la jeune femme plus calme, ce dernier recula de quelques pas. Farfouillant dans un baluchon, il en sortit un bout de tissu qu’il vint appuyer sans un mot sur la plaie le temps de la faire coaguler. Delfyn profita de la proximité de son hôte pour observer son masque dont elle apercevait enfin les détails. Il semblait avoir été conçu non seulement pour être effrayant, mais également reproduire autre chose. De longues cornes sombres s’étendaient vers le ciel, et là où devait se trouver sa bouche dépassaient ce qui ressemblait à des dents. Delfyn ne put contenir un sourire amusé en dénotant l’absence de sens esthétique qui avait été mis dans ce costume. Ashkore ne semblait pas avoir manqué ce sourire, et ses doigts gantés de noir attrapèrent le menton de la jeune femme pour l’observer à son tour. Elle pouvait deviner l’air narquois, presque satisfait que l’homme devait avoir sous son masque.

“ C’est bien ce qui me semblait, même les fées ne peuvent me résister.
_ Je suis une pixie” gronda la jeune femme.

La colère avait soudainement pris possession de Delfyn qui avait répondu à son hôte sans même s’en rendre compte. Ce dernier eut un rire avant de se reculer, retournant s’asseoir près du feu après s’être assuré que la pixie ne saignait plus. Le masqué ne prononça plus un mot du reste de la journée. Les heures semblaient interminables pour Delfyn qui ne supportait pas les ambiances si sombres. Lorsqu’elle vit le soleil se coucher, elle fit mine de s’amuser avec ses pouvoirs afin d’envoyer un nouveau signal à Miiko. Avait-elle bien reçu les premiers insectes envoyés en guise de signaux ? Delfyn ramassa une couverture qu’elle avait repérée dans le fouilli de débris et d’affaires qui composaient le campement ; il s’agissait bien là d’un bivouac géré par des hommes. Tout en s’emmitouflant dans sa couette de fortune, la fée laissa ses pensées s’envoler à la suite du papillon vers la garde. Si Ezarel devait pour la seconde fois en quelque mois fêter son départ, la jeune femme espérait que Valkyon et Andromedea ne s’inquiétaient pas trop pour elle. Le souhait de pouvoir communiquer avec eux traversa ses pensées, mais elle pouvait seulement compter sur les signaux envoyés à la cheffe de garde pour les rassurer quant à son état. Seule une longue journée s’était écoulée dans cette mission de couverture d’une durée indéterminée, et elle ne savait comment elle tiendrait si loin de ses amis qui lui manquaient déjà tant. Un soupir traversa ses lèvres tandis qu’elle fermait les yeux pour trouver le sommeil. Demain serait une autre journée. Une journée où elle donnerait tout pour prouver son allégeance à l’ennemi qu’elle essayait de berner. Quoi qu’il arrive elle devait réussir, pour la garde.


Ce fut l’odeur de nourriture venant chatouiller ses narines qui réveilla Delfyn. Elle ouvrit difficilement les paupières, ses iris agressés par les quelques rayons du soleil traversant les feuillages. Elle observait le repas préparé par Ashkore d’un œil curieux.

“C’est donc toi le voleur de provisions, dire que la garde accusait les enfants du refuge, tenta la jeune femme.
_ Grand bien me fasse, bonjour à toi aussi.
_ Adorable dès le réveil, je n’aurai pu rêver mieux.”

Ashkore ne prit la peine de répondre à la remarque cinglante de la jeune femme. Avec nonchalance, il lança un morceau de pain devant elle, et Delfyn le dévisagea, un sourcil arqué.

“C’est donc ainsi qu’on traite les belles demoiselles.
_ La jolie demoiselle va calmer son insolence, je me trouve déjà bien assez gentil avec toi Delfyn.”

Elle soupira en se redressant afin de s’étirer un peu. Ses muscles étaient endoloris des quelques heures de sommeil dans une position absente de tout confort. Elle attrapa la miche de pain envoyée par Ashkore, venant s’asseoir un peu plus près du feu qui brûlait encore faiblement.

“Merci Ashkore.”

Sans réponse de la part de l’homme face à elle, Delfyn haussa les épaules avant de commencer à manger. Ashkore ne faisait plus attention à elle, préparant sûrement la suite de son plan machiavélique de méchant. Delfyn pouffait intérieurement, l’idée de prononcer ces mots à haute voix la traversant. Cependant elle se ravisa au souvenir de la lame sous sa gorge la veille.

“Et donc, quels sont les plans pour la journée ?”

L’homme releva la tête vers la pixie, semblant la sonder du regard quelques instants. Elle ne démordit pas, maintenant le contact visuel bien qu’elle n'aperçoive pas ses yeux.

“Rien qui te concerne. Reste sagement au campement, si tu essaies de t'enfuir, Collynn a pour ordre de t’exécuter.”

Une pause de quelques secondes suivit les derniers mots de l’homme masqué avant que sa langue ne claque contre son palais avec agacement tandis qu’il tournait le dos au campement pour disparaître derrière les arbres. Un soupir traversa les lèvres de la pixie qui mordit une nouvelle fois dans son morceau de pain en grommelant combien son hôte était adorable. Plus les heures passaient loin de la forêt de Dynn, plus elle se sentait reprendre possession d’elle-même. Pourtant, dans l’ombre, la pixie en elle luttait pour garder le contrôle de ce corps.
Afin de la surveiller, l’elfe à l’air toujours aussi fermé s’était rapproché, assis sur un tronc d’arbre qu’une précédente tempête avait certainement arraché. Profitant de l’absence du masqué, Delfyn créa une nouvelle fois un papillon aux ailes qu’elle trouvait étonnamment moins sombre que ceux de la veille, arborant une couleur cendrée. Ses doigts semblaient également moins translucides et Delfyn se demanda si son épiderme commençait finalement à retrouver sa coloration habituelle. Satisfaite de ces changements positifs, la jeune femme se releva pour dégourdir ses jambes. Collynn ne la quittait pas du regard, s’assurant qu’elle ne cherche pas à fuir, ce qui fit rire la fée.

“Pas besoin de me regarder comme ça, je ne vais pas bouger d’ici. J’aimerai juste mettre un peu d’ordre dans ce campement dégoulinant de testostérone afin de m’occuper.”

Le silence lui répondit. L’elfe la jaugeait sans lui répondre. Ashkore n’avait pas menti lorsqu’il avait précisé que son second avait interdiction de lui adresser la parole.

“Sérieusement, il n’est pas là tu peux me parler, je ne lui dirais rien.”

Delfyn soupira face à ce nouvel échec. Soit Collynn était aussi bavard qu’une tombe en temps normal, soit il respectait les ordres de son chef à la lettre, ce qui n’était pas si étonnant, vu le personnage peu de gens se risqueraient à contredire ses ordres.

“Tu sais j’en ai fait parler des plus fermés que toi, sache que j’y arriverai un jour, alors tu peux nous épargner cette peine.”

La pixie devina un sourire au coin des lèvres de l’elfe qui ne décrocha pourtant pas un mot. Haussant les épaules, elle détourna son attention de l’homme voué au silence pour commencer à s’occuper du capharnaüm qui leur servait de logis. Remettre tout en ordre lui prit un certain temps, et ce fut lorsqu’elle arrivait sur la fin qu’elle remarquait un détail qu’elle n’avait pas pris le temps de constater depuis la veille.

“Vous vous foutez de moi ? Je suis vraiment la seule qui dort dehors par terre ?” s’indigna la pixie.

Une nouvelle fois, elle fit face au silence de son interlocuteur qui s’était contenté de lever les yeux au ciel face aux plaintes de la jeune femme. Tout autant que ça l’agaçait, le mutisme réveillait l’esprit de compétition de la dynnienne qui comptait bien finir par lui décrocher un mot.

“Puisque c’est ainsi, j’élirais domicile dans ta tente. Je vois que tu ne daignes pas prononcer un son, et ne dit-on pas que qui ne dit mot consent ?”

Le silence qui lui répondit fut ponctué de l’expression amusée qui traversa le visage sombre de l’elfe le temps d’un instant. La jeune femme ne semblait pas vouloir en démordre, mais les ordres étaient les ordres, et la voir galérer face à son mutisme était un spectacle assez divertissant pour l’occuper durant les longues journées qui les attendrait.

“C’est fixé alors. J’ai hâte de voir comment le grand chef réagira à cette nouvelle.”

Comme invoqué par la mention de son titre, le-dit chef fit son retour à ce moment, coupant l’elfe noir dans son envie de répondre aux provocations de la pixie pour tenter de le faire parler. Collynn tourna les talons pour faire face à Ashkore, qui observait le campement désormais rangé.

“Chef, dites-moi qu’il y a un moyen de faire taire la charmante demoiselle qui piaille dans mes oreilles.”

Un soupir qui ressemblait presque à un grondement fit suite à la demande de son subordonné tandis que Delfyn grimaçait. Elle aurait juré qu’elle n’était pas loin de faire parler Collynn, qui pourrait s’avouer un puit à information parfait pour sa mission si elle réussissait à lui faire aligner au moins deux mots. La pixie leva les yeux au ciel à l’entente des commentaires qu’il faisait à Ashkore.

“C’est pas possible vous les elfes vous êtes tous les mêmes. Garde-le ton lit, je préfère dormir sur les cailloux.” pesta la jeune femme en tournant les talons, l’envie d’enfoncer son poing dans ce qui lui tomberait sous la main la prenant aux tripes.

La pixie s’éloigna assez pour ne plus avoir les deux hommes dans son champ de vision. La rage qui avait grimpé en flèche en elle devait se taire, elle ne devait pas se laisser emporter par la colère ainsi, c’était tout ce que sa pixie attendait pour refaire surface. Et se mettre ses ennemis à dos dès les premiers jours en déversant son agacement sur eux n’était pas le meilleur plan non plus. Le son des branches craquant sur la terre derrière elle lui fit deviner que l’un des hommes l’avait suivi. Toujours hautement irritée, Delfyn fit volte face, avant de faire un pas en arrière, surprise par la proximité d’Ashkore lorsqu’elle se retrouva le nez frôlant l’armure noire.

“L’absence de couchage courrouce tant ton petit confort, princesse ? Je t’avais pourtant proposé ma compagnie hier soir, railla le masqué qui avait croisé ses bras sur son torse.
_ Plutôt crever, cracha la pixie.”

Un rire fut la seule réponse qu’elle obtint. Delfyn leva les yeux au ciel avant de fausser compagnie à Ashkore, passant devant lui pour de nouveau rejoindre le campement. Elle avait très bien compris qu’elle n’aurait aucun moyen de s’isoler sans que l’un d’eux ne la suive à la trace, et la jeune femme préférait largement la compagnie du mutique.

꧁꧂

Plusieurs jours s’étaient écoulés, Delfyn avait senti ses émotions négatives se calmer au fil des jours. Cependant, sa mission n’avançait pas, les journées étaient d’une lenteur affligeante, et elle avait posé tous ses espoirs en l’idée de délier la langue de Collynn afin de récolter des informations sur l’ennemi de la garde. Pourtant la jeune femme s’était confronté sur des échecs incessants, si bien qu’elle se sentait proche d’abandonner ce plan. L’idée de jouer les otages entichées de leur ravisseur lui traversa l’esprit, mais elle n’avait aucune intention de s’abaisser à ça, cela plairait bien trop à l’imbécile porteur de masque. Ce dernier les avait d’ailleurs quitté depuis la veille pour aller régler quelques affaires dans son repère. Toujours aussi bavard, Collynn travaillait sur un plan qui, de loin, semblait être celui de la côte d’Eel. Delfyn soupira. La plaine lui manquait, les entraînements ô combien éprouvants avec Valarian ou Valkyon, les balades sur la plage avec Andromedea, les nombreuses soirées passées avec cette joyeuse troupe d’idiots, même Ezarel venait à lui manquer. La pixie espérait que tous se portaient bien et qu’aucun de ses amis ne s’inquiétaient pour elle. Delfyn ne manquait de rien ici, si ce n’était un peu de divertissement, même compter les jours l’avait lassé et elle ne savait plus depuis combien de temps elle tenait compagnie aux deux hommes. Ses pensées furent interrompues par Collynn qui jura en raturant les traits qu’il avait tracés sur la carte. En plissant les yeux, Delfyn observa qu’il était en réalité en train de réaliser le plan de la côte, mais cela ne semblait pas se dérouler comme il l’aurait souhaité. En s’avançant, la pixie remarqua en effet que certaines zones semblaient erronées.

“Il te manque une bonne partie de la forêt. Et la plage s’étend bien plus que ça sur l’ouest.”

L’elfe releva ses yeux noirs sur la fée qui l’avait interrompu dans sa réflexion. En haussant un sourcil, il se recula, désignant la carte d’un signe de tête comme pour l’inciter à lui montrer. Delfyn s’approcha jusqu’à s’asseoir aux côtés de l’homme, lui prenant le crayon des mains. Avec application, elle griffonna l’emplacement du bosquet rigide ainsi que de la colline aux galets que Collynn semblait avoir oublié dans ses plans. Elle traça une nouvelle fois les limites de la plage et ajouta la cave immergée en y indiquant le passage secret qui menait au QG. Fière d’elle, Delfyn tandis de nouveau le crayon à l’homme, un sourire victorieux sur ses lèvres.

“C’est cadeau.
_ Pas si mal pour une futile petite fée.”

La voix rauque de l’ancien mutique surpris la jeune femme qui ne s’attendait plus à une réponse après tant d’essais en vain.

“J’avais fini par croire que tu étais réellement muet, quel plaisir d’avoir enfin l’honneur de t’entendre.
_ Ne t’y habitue pas trop la nouvelle, les ordres sont les ordres.
_ C’était trop beau pour être vrai.”

Elle obtint un sourire amusé de l’elfe pour réponse, et hésita un instant à le cuisiner maintenant qu’elle avait enfin réussi à le faire parler. Delfyn ouvrit la bouche avant de se raviser ; si elle le braquait ce serait fini, elle devait prendre son mal en patience.

“Qu’est-ce qu’il y a la nouvelle ? Je vois bien que ça te démange de me torturer avec tes questions alors pose-les, c’est encore plus agaçant de te voir te torturer l’esprit, soupira Collynn.”

La fée laissa la surprise traverser son visage avant de se râcler la gorge et reprendre son sérieux. C’était une occasion parfaite, elle ne devait rien gâcher.

“Ton plan là, il va servir à quoi ? Et puis quand est-ce qu’on va quitter cette forêt ? Je sais que c’est mon environnement naturel mais je mérite un peu plus de confort.”

En repliant la fameuse carte, l’elfe analysa quelques instants le visage de la jeune femme à ses côtés avant de hausser les épaules. Delfyn comprit qu’elle n’aurait pas de réponses aussi facilement.

“Je parlerai au chef de l’idée de te confier quelques responsabilités vu qu’apparemment tu peux être utile autrement que pour le plaisir des yeux. En attendant, ne vient plus jacasser dans mes oreilles jusqu’à son retour.”

Satisfaite, Delfyn se redressa à son tour, un sourire étirant ses lèvres. Comme elle s’y était préparée, elle avait dû sacrifier quelques informations, mais cela semblait lui avoir donné des bons points du côté de Collynn qui pourrait plaider sa cause au chef. Si elle réussissait en effet à grimper dans leur estime, entrevoir un peu plus clairement les plans d’Ashkore serait la prochaine étape.

Chapitre 7 : Ampedia

     Le retour d’Ashkore sur le campement se fit le lendemain, et il était bien plus chargé qu’au départ. Collynn avait immédiatement demandé à lui parler. Tandis que l’elfe contait à son chef les informations apportées par la jeune femme, le masqué observait cette dernière, encore endormie. En jetant plus tôt un œil à la carte, il avait en effet constaté les modifications apportées et le détail qu’elle avait ajouté avec le passage secret. Il ne fut presque pas étonnée qu’elle le connaisse, Delfyn était une vraie fouine et ce n’était sûrement pas le seul passage qu’elle avait en tête. Ce n’était pas une nouvelle pour lui, l’entrée de la cave immergée ne lui était pas inconnue, mais sa mention sur le plan corrigé par la jeune femme confirmait bien qu’elle était fin prête à leur être utile.

“Je pense que nous n’avons plus besoin d’attendre et que nous pouvons l’utiliser pour la négociation avec les centaures, chef.”

Ashkore quitta la pixie des yeux pour les poser sur son subordonné qui attendait fièrement sa réponse. Bras croisés contre son torse, le masqué se tourna vers Collynn.

“L’utiliser ? répéta-t-il.
_ Plus que la laisser mener les négociations, leur concéder la demoiselle contre allégeance. Il n’y a rien que ces imbéciles aiment plus que les femmes et le vin. Mettons toutes les chances de notre côté.”

“Comme quoi cet idiot n’est pas si inutile”. Sous son masque, Ashkore fit rouler ses yeux vers le ciel avant de soupirer. Il n’avait pas besoin que cette stupide voix lui dicte tous ses faits et gestes, il savait ce qu’il faisait. Il avait pourtant été clair dès le début ; il était maître de toutes décisions concernant Delfyn. Pourtant il savait. Il savait pertinemment qu’ils devaient se donner toutes les chances, qu’en aucun cas la présence de la jeune femme ne devait contrecarrer leurs plans. Le masqué serra la mâchoire, avant d’opiner.

“Bien. Nous verrons au moment venu.” conclut Ashkore.

L’homme quitta son subordonné pour commencer à ranger le campement. Ils partiraient vers Ampedia le soir même. Il avait déjà bien assez attendu inutilement au cœur de cette forêt, il était temps de continuer à avancer vers leur objectif. L’absence de discrétion du masqué remballant les tentes et affaires éparpillées sur le campement fit ouvrir les yeux à la pixie. Son regard curieux observait l’effervescence soudaine, et elle s’étira longuement avant de poser avec curiosité ses yeux sur l’homme à l’armure. Comme Ashkore l’avait anticipé, il n’attendit pas longtemps avant qu’elle ne le questionne.

“Ne commence pas à jacasser et tiens-toi prête. On part vers Ampedia dès ce soir.
_ Les terres des centaures ? Pour quoi faire ? répondit Delfyn.
_Tu vas enfin avoir l’occasion d’être utile, tu seras chargée des négociations pour notre future alliance avec eux.
_ Comment ça ? Les centaures ne sont-ils pas alliés de la garde ?
_ Plus pour longtemps.”

La pixie marqua un temps de réflexion, ses sourcils se fronçant tandis qu’elle intégrait l’information. Cet air pensif se changea bientôt en moue confuse. Amusé par les différentes expressions qui traversaient le visage de Delfyn, Ashkore la fixa quelques instants. Même sous cette forme, elle semblait être toujours la même que celle qu’il avait laissée. Il pourrait dire qu’il se sentait libéré d’un problème de ne plus la savoir entre les mains de la garde. Delfyn entre leurs murs faisait d’elle son ennemie. Cela n’aura rien changé à ses plans, ce monde devait disparaître, mais il préférait le faire sans avoir à la confronter. Néanmoins, bien que l’ayant à ses côtés, l’heure n’était plus aux histoires d’amour puériles. Rien ne se mettrait sur le chemin de ses objectifs ; chaque faery, chaque familier, chaque être insignifiant vivant insoucieux suite au sacrifice des siens devait périr. Cette pensée lui fit serrer les dents, ses doigts se pressèrent sur le manche de sa dague. Il viendrait à bout du cristal quoi qu’il arrive.

“J’avoue ne pas bien comprendre comment ils pourraient changer de camp ainsi.
_ Je ne suis pas inquiet, les centaures sont faciles à corrompre avec un joli minois.”

Delfyn fronça les sourcils, cherchant à comprendre l’utilité qu’elle aurait dans cette histoire. Sofos, le chef des centaures, avait toujours été un fidèle allié de la garde d’aussi loin qu’elle se souvienne, et il n’était pas du genre à trahir ses alliés ainsi. Au vu de sa mission, elle n’avait de toute façon pas le choix que d’accepter cette tâche, il lui fallait avancer dans son rôle auprès d’Ashkore et continuer de gagner sa confiance. De plus, si elle était le vecteur de l’accord, les centaures se rangeraient sûrement de leur côté lorsqu’elle serait de nouveau au sein de la garde. Du moins c’était le mince espoir auquel elle se raccrochait tandis qu’elle acceptait son rôle.

“Et qu’est-ce que je suis censée faire ?
_ Oh pas grand chose. Contente-toi de faire les yeux doux et on s’occupera du reste avec Collynn s’ils font les difficiles.”

Delfyn soupira. Évidemment son rôle ne se résumait qu’à son physique. La jeune femme haussa les épaules avant de tourner le dos au masqué pour retourner s’asseoir ; elle ne comptait en aucun cas aider au rangement des lieux. S’adossant contre un arbre, la dynnienne ouvrit sa paume pour y faire apparaître la créature volante qu’elle devait envoyer à Miiko. Sous son masque, Ashkore fronça les sourcils en voyant la pixie jouer une nouvelle fois avec un papillon bleuté. Ce n’était pas la première fois qu’il la voyait faire depuis qu’elle les avait rejoint. Ce n’était pas une habitude qu’il lui connaissait par le passé et il commençait à trouver cela étrange. “Qu’elle recommence et je m’occupe de son cas.” Ashkore soupira bruyamment, un soupir qui fit vibrer sa cage thoracique tel un grondement. Il pouvait très bien gérer ça seul, si quelqu’un devait s’occuper de Delfyn, ce serait lui.

“Tu commences à me les briser avec tes insectes, si je les vois encore une fois tu regretteras ta misérable existence.” menaça le masqué.

Ashkore intercepta le bleu dragée du regard de la pixie avant qu’elle ne lève les yeux au ciel. L’homme bloqua un instant sur la couleur légèrement différente de ses iris qui avaient perdu leur couleur nacrée. Ce changement était étrange, il fallait réellement qu’il la surveille de plus près.

“Super, je n’ai vraiment droit à aucun divertissement, marmonna la jeune femme.
_ Va voir Collynn, il te briefera un peu plus sur ton rôle à Ampedia.”

Plus loin, l’elfe terminait de plier sa tente. À la mention de son nom, l’homme releva les yeux vers le duo, et Ashkore lui fit signe d’approcher.

“C’est nouveau ça, je croyais qu’il n’avait pas le droit de m’adresser la parole.
_ J’ai cru constater qu’il n’avait pas attendu ma permission pour le faire.” gronda Ashkore.

Son regard de glace, bien que masqué par son armure, se posa sur son acolyte. L’elfe ne laissait transparaître aucune émotion, mais savait pertinemment qu’il avait merdé et entendrait bientôt parler de ce faux pas. S’il n’avait pas son statut et responsabilités au sein de l’armée d’Ashkore, il lui aurait probablement déjà ôté la vie pour avoir osé défier son autorité. La tension entre les deux n’échappa pas à Delfyn qui ne manqua pas de faire une remarque.

“Oh, j’en connais un qui est dans la sauce, s’amusa à constater la jeune femme.
_ Personne n’a demandé ton avis, pesta l’elfe, ferme-la et suis-moi.
_ C’est vraiment pas drôle de vivre avec vous au quotidien..”

Collynn ignora les lamentations de Delfyn et s’éloigna à l’écart du campement pour expliquer son rôle plus en détail tandis qu’Ashkore reprenait le rangement.

꧁꧂

La traversée du désert qui séparait la forêt d’Eel d’Ampedia était sans fin. La chaleur qui semblait insurmontable pour Delfyn ne paraissait pas atteindre les deux hommes en tête de marche murés dans le silence. La fée avait cessé de réclamer des pauses, ses demandes n’étant jamais entendues. Elle voyait la fin de son supplice lorsqu’elle entrevit enfin le retour de la végétation sous ses pieds. Il leur restait encore un bout de la forêt qu’ils apercevaient au loin à traverser avant d’entrer sur les terres des centaures. Delfyn était si heureuse de retrouver un peu de verdure, elle freina un instant pour s’accroupir et frôler l’herbe verte du bout des doigts. Elle s’arrêta également pour caresser l’écorce d’un arbre dont le murmure se mêlait à la brise.

“Quand tu auras fini de t’extasier sur des plantes on pourra avancer ?” s’agaça Ashkore.

La jeune femme soupira bruyamment à la remarque du masqué, accélérant le pas pour prendre la tête. Les voyages avec Collynn et Ashkore n'avaient réellement rien à voir avec les aventures aux côtés de ses camarades de garde. Même les moins agréables des gardiens parvenaient à créer une meilleure ambiance que les deux hommes qui lui tapaient sur les nerfs. Avec ses collègues même les plus longs trajets paraissaient passer à grande vitesse, lui faisant parfois regretter qu’ils ne duraient pas plus. Elle adorait partir ainsi à l’aventure avec ses amis, et ce malgré le sérieux que pouvaient avoir certaines missions. Ses deux camarades actuels lui faisaient ressentir tout le contraire, et la pixie occupait son esprit comme elle le pouvait en espérant que le temps passe plus vite. Elle aurait tout donné pour retrouver Medea et Valkyon ne serait-ce que quelques heures, ils lui manquaient affreusement.

Tandis que ses pas foulaient le sol avec paresse, le regard de Delfyn parcourait les alentours avec curiosité. La forêt était bien moins dense que celle de Dynn ou même celle d’Eel, les arbres semblaient moins connectés que ceux qu’elle avait auparavant connus. Plus le trio avançait vers la plaine où vivaient les centaures plus leurs troncs étaient parsemés de flèches ou entaillés par une lame. Delfyn les observait avec tristesse, la souffrance des plus mutilés se faisait ressentir. Des bruits de sabots foulant le sol lui firent lever les yeux devant elle. Cinq centaures galopaient vers eux, armés d’arcs et d’épées, ils terminèrent leur course juste devant eux, sur leurs gardes. Ashkore la dépassa pour se planter devant eux, imperturbable malgré l’hostilité qu’ils montraient.

“Qui êtes-vous et que faites-vous ici ?” demanda l’un d’entre eux dont la robe blanche semblait refléter le soleil.
“Je suis Ashkore, j’ai fait demander un conseil à Sofos.”

Un second centaure brun les jaugea un instant du regard avant de souffler des informations à l’oreille du premier. Le blanc acquiesça et leur fit signe de les suivre.

꧁꧂

Les deux centaures avaient conduit le trio sur la place où Sofos avait pour habitude de réunir son conseil. Le centaure à la robe alezane les invita à se placer devant lui et à lui faire part de leur requête. Delfyn s’avança d’un pas tout en se râclant la gorge. Ses yeux parcouraient l’assemblée composée d’une dizaine de centaures d’âge et de couleurs diverses. Si certains semblaient prêts à l’écouter attentivement comme Sofos, d’autres avaient un petit sourire malsain. Ce genre de sourire qui donnait des frissons désagréables à la jeune femme tant il transpirait de perversion. Elle reporta son attention sur le chef dont l’air bienveillant n’avait pas quitté son visage. Il était le seul dont le torse était couvert d’un tissu épais par dessus lequel il avait enfilé une imposante armure. Les autres n’avaient la peau que partiellement couverte de sangles maintenant leurs armes en place. Le diadème d’argent posé sur ses cheveux roux ne laissait pas non plus la place au doute quant au rang de Sofos au sein des centaures.

“Eh bien jeune femme nous vous écoutons, parlez.” l’invita l’alezan.

L’imposante carrure face à sa taille de fée était impressionnante, Delfyn se sentit minuscule ainsi entourée. Elle acquiesça à la demande de Sofos, cherchant un instant ses mots qu’elle avait pourtant eu le temps de réfléchir durant l’interminable traversée du désert.

“Je suis Delfyn de Dynn, sous les ordres d’Ashkore. Nous sommes venus vous proposer une alliance.
_ Une alliance ? Notre peuple est déjà associé à Miiko, cheffe de la garde d’Eel. Si vos moeurs sont différents des siens, j'ai le regret de devoir rejeter votre demande.
_ Nous nous élevons contre la garde d’Eel et les horreurs qu’elle a commises. Les centaures sont un peuple trop respectables pour être associés ainsi à la garde. Notre objectif est d’en reprendre le contrôle afin de rétablir le monde tel que nous l’imaginons.”

Un silence suivit les paroles de la pixie qui jeta un coup d'œil en arrière afin d’avoir un retour du masqué. Ce dernier adressa un bref signe de tête pour exprimer sa satisfaction face au discours de la jeune femme. Il n’avait jamais douté de sa capacité à négocier leur alliance, Delfyn avait toujours été douée avec les mots. Sofos se tourna vers le reste de son assemblée dont les murmures s’élevaient déjà. Les convaincre ne pouvait pas être aussi simple. Le dirigeant des centaures était connu pour être droit et bon, sûrement l’un des seuls de son peuple à l’être. Delfyn avait dû tourner ses paroles de sorte à faire passer la garde pour les méchants. Elle savait qu’elle serait questionnée sur ce point, et son discours était tout préparé. Les quelques mots qu’elle avait pu décrocher à Ashkore lors de leur voyage avait concerné le génocide dont il lui avait parlé lorsqu’elle était encore enfermée dans les géôles de la garde. Si les abominations contées par le masqué l’avaient horrifié, elle savait que les mœurs de la garde avaient changé ; une chose dont Sofos n’avait peut être pas vent et qui pourrait l’aider à convaincre l’assemblée de centaures. L’alezan demanda le silence et se tourna de nouveau vers Delfyn.

“Parle-moi des horreurs dont vous accusez la garde.”

Un sourire satisfait étira les lèvres de la jeune femme tandis qu’elle répétait les événements qu’elle avait appris quelques jours plus tôt. La traque de certains peuples dans l’espoir de rétablir l’équilibre du maana, l’horreur dans laquelle de nombreux faeries avaient dû vivre, des enfants arrachés à leurs familles, des villes mises à feu et à sang. Delfyn n’oubliait aucun des détails du récit que lui avait raconté Ashkore avec rage. La dynnienne put sentir la pointe de culpabilité qui grandissait en elle à l’idée d’arracher de tels alliés à la garde, mais c’était le sacrifice qu’elle devait faire pour en apprendre plus et grimper dans l’estime de leur ennemi. Cette mission était bien trop importante pour laisser sa crainte et ses remords tout gâcher. L’information ne serait pas facile à accepter mais Miiko comprendrait, du moins elle l’espérait. Delfyn n’avait pu lui faire parvenir de papillons depuis la fois où elle avait été reprise par Ashkore. Ce dernier la surveillait de près et elle ne voulait pas prendre le risque de griller sa couverture. La dynnienne se demanda si l'Étincelante s’inquiétait pour elle ou si, suite à l’absence de nouvelles, la kitsune l’avait considérée comme traître qui s’était rangée aux côtés de leur ennemi. Pourtant son âme et sa fidélité revenait à la garde quoi qu’il arrive. Une nouvelle fois un long silence suivit son monologue et Sofos demanda à ce qu’on leur accorde un instant de réflexion.

“Je le conçois, la pixie se révèle plus utile que je ne l’aurai cru. Bien vu Ashkore.”  Bras croisé contre son torse, toisant l’assemblée de géants qui s’était réuni pour discuter, un sourire étira ses lèvres lorsque la satisfaction du murmure dans son esprit résonna. Le cercle de centaure se dissipa et l’un d’eux s’avança à son tour. Sa carrure ne faisait que renforcer l’air féroce qu’il essayait de se donner. Ashkore ne put contenir un rire sarcastique à le voir se donner tant d’importance. De longs cheveux noirs barraient ses yeux sombres se posant sur Delfyn. Le sourire malsain sur ses lèvres fit serrer la mâchoire d’Ashkore qui sentit tout son corps se tendre, prêt à intervenir. “Maîtrise ton dragon Ashkore, je n’aime pas la tournure que tes pensées prennent.” Agacé, Ashkore chassa le murmure de sa tête, lui priant cordialement de la fermer.

“Je suis Teratodis, second de Sofos. Après réflexion nous souhaitons ajouter une condition avant de continuer notre négociation.”

Son regard d’ébène n’avait quitté la pixie, pourtant Ashkore savait que c’était bien à lui qu’il s’adressait, et il sentait que sa demande n’allait pas lui plaire.

“Je vous écoute.” l’invita à poursuivre le masqué.
“La ravissante demoiselle nous revient. Cela fait bien longtemps que nous n'avons pas été gâtés par la présence d’une aussi belle créature.”

Ashkore sentit la colère gronder dans sa cage thoracique. Il vit Collynn sourire à ses côtés, prêt à accepter la requête du centaure comme ils l’avaient convenu quelques jours plus tôt. Il coupa son subordonné en s’avançant d’un pas, passant son bras autour de la taille de Delfyn pour la ramener contre lui. L’armure couvrant son visage cachait le regard noir qu’il avait posé sur le centaure à la robe sombre. Il était hors de question qu’il leur laisse la pixie. Ashkore ignora l’expression surprise de son acolyte et gronda.

“La demoiselle m’appartient. Elle ne fait pas partie des négociations.”

Face au refus catégorique du masqué, Sofos s’avança de nouveau et tapota l’épaule de son bras droit avec un sourire, l’invitant à reprendre sa place.

“Bien essayé Teratodis, plaisanta le roux avant de tourner la tête vers le trio, mon peuple n’aurait pas dit non à un peu de charmante compagnie mais je conçois que nous ne pouvons prendre la possession d’un autre homme. Dans tous les cas, notre décision était prise. Quoi qu’il advienne, nous restons fidèles à Miiko.”

Ashkore croisa le regard de Collynn et lui adressa un signe de tête. La seconde partie de leur plan s’enclencha. Le masqué souffla pour chasser la rage qui avait grimpé en lui. Il allait être difficile de se montrer mielleux face aux centaures quand tout ce qu’il désirait était d'écraser la trachée de cet arrogant de Teratodis entre ses phalanges.

“C’est quoi ton problème ? souffla Delfyn en s’extirpant de la prise un peu trop forte du masqué.
_ Merci aurait suffit, répliqua l’homme avant de s’avancer d’un pas vers Sofos.
_Je ne suis pas un objet, et encore moins le tien.” grommela la pixie tandis qu’elle l’observait s’éloigner.

La jeune femme suivit Ashkore du regard. Il était désormais au niveau du centaure aux cheveux flamboyants, main tendue vers lui. La pixie avait un mauvais pressentiment devant cette soudaine bienveillance. Il avait quelque chose derrière la tête et cela n’avait rien de rassurant.

“Amis centaures, je comprends totalement votre refus. Mes collègues et moi-même tenons à nous excuser pour la perte de temps qu’a causé ce conseil.”

La surprise sur le visage de Delfyn à l’entente des mots d’Ashkore devait être telle que Collynn dû la tirer par le bras pour l’amener à lui.

“Range cet air ahuri, tu vas tout foirer.” murmura sèchement l’elfe.

Delfyn le toisa du regard un instant. Elle venait presque à regretter de l’avoir fait parler vu combien il était désagréable avec elle depuis. Elle hésita un instant à lui faire la remarque, mais ce qui se misait durant ce conseil était trop important pour qu’elle joue sur l’humeur de l’elfe.

“Il lui arrive quoi à ton chef, il a perdu la tête ?
_ Ferme-la et agis comme si tout était normal.”

Delfyn soupira, reprenant un air neutre. Les deux hommes ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-même, s’ils ne lui faisaient pas part de l’entièreté du plan ils n’avaient aucune raison de s’étonner qu’elle puisse le gâcher.

“C’est pourquoi nous souhaitons malgré tout vous offrir le vin que nous vous avions apporté pour célébrer l’alliance.”

La fée dû contenir sa surprise face à la scène lunaire qui se déroulait devant ses yeux. Le refus de l’alliance ne venait-il pas de marquer la rivalité entre leurs deux camps ? La soudaine gentillesse d’Ashkore cachait définitivement quelque chose, et elle n’avait aucune envie de découvrir ce qu’il se passait derrière ce masque immonde. Quelques exclamations de joie s’élevaient de l’assemblée de centaures, tandis que Sofos acceptait les victuailles avec plaisir. Le masqué tourna la tête vers Collynn, lui adressant un signe de tête. L’elfe tira la toile qui couvrait le baril que le trio avait apporté avec eux jusqu’à Ampedia.

“Que la fête commence.” se délecta Collynn.

Chapitre 8 : Silence papillon

     L'Étincelante s’était réunie en urgence dans la salle du cristal sous ordre de Miiko. Les gardiens n’avaient pas mis longtemps à la rejoindre, à l’exception de Leiftan qui n’était toujours pas revenu de mission.

“Je ne vais pas tourner autour du pot : comme vous le savez Delfyn a mis plusieurs jours avant de me recontacter pour la dernière fois, commença la cheffe d’Eel, mais la situation commence à m’inquiéter.
_ Comme c’est bizarre…
_ Garde ton sarcasme Ezarel, elle a suivi les conditions que je lui avais imposées pendant assez de temps pour prouver qu’elle avait réellement de bonnes intentions.
_ Ou de nous faire passer pour des blobby, nota le chef de l’absynthe.
_ Je peux finir ou tu présentes la réunion à ma place ? claqua la kitsune.

Un silence tendu s'installa dans la salle du conseil. Miiko toisa Ezarel, le jaugea avec circonscription et reporta son regard sur l'assemblée avant de reprendre:

_ Merci. Je disais donc, je n’ai plus aucunes nouvelles de Delfyn de nouveau.
_ Depuis combien de temps exactement ?”

La question étonnement calme d’Andromedea surprit Ezarel qui s’apprêtait à la poser lui-même. Miiko réfléchit un instant à si elle devait être honnête ou non ; elle craignait un retour de flammes en avouant qu’elle avait tardé à leur dire. La lorialet ne semblait pas sur la défensive alors la brune se décida à leur dire la vérité, de toute façon l’elfe ferait une remarque quelle que soit sa réponse.

“Depuis bientôt cinq jours. J’ai préféré attendre un peu avant de semer la panique, les derniers papillons n'étaient pas arrivés aux heures convenues ni spécialement tous les jours.
_ Elle a-, commença l'elfe aux cheveux bleus.
_ Je suis certaine que ton avis pourra être entendu quand j’aurais terminé.” objecta Miiko.

Nevra et Medea retinrent très difficilement leur fou rire nerveux tandis que Valkyon soupirait, Ezarel ne croyait pas vraiment en l’innocence de Delfyn. Il n’avait jamais été friand de l’idée de lui confier une mission aussi importante. Ce dernier, susceptible comme il était, décida de se murer dans le silence pour le reste de la réunion. Le chef de l’obsidienne foudroya tour à tour la lorialet et le vampire jusqu’à ce qu’ils reprennent leur sérieux avant de reporter son attention sur Miiko.

“Nous t’écoutons, indiqua-t-il.
_ Je n’ai pas besoin de justifier mon choix mais je pense que si elle avait voulu nous trahir, elle ne se serait pas donné la peine d’essayer de maintenir la communication. Ashkore a dû la surprendre à en envoyer et Delfyn a fait ce qui lui semblait bon pour le déroulement de sa mission.
_ Où veux-tu en venir Miiko ? questionna Nevra, sans nouvelles d’elle ça va être compliqué d’avoir le fin mot de l’histoire. Ce n’est pas comme si nous savions où elle était.
_ Justement, nous allons commencer des recherches pour pouvoir la situer et la récupérer. Je me doute qu’elle ne doit pas être aux alentours direct de la garde mais rien ne nous empêche de s’en assurer. Andromedea, tu seras chargée de communiquer avec les cités proches à ce sujet, je sais qu’Eweleïn a besoin de ton aide cette semaine donc tu restes ici. Valkyon, Nevra et Ezarel, vous aurez chacun à charge un groupe de recherche pour couvrir le plus rapidement possible la forêt.”

Ezarel acquiesça en silence, tout comme le reste. Miiko termina d’expliquer les détails puis les lâcha avec un sourire satisfait. Les recherches démarreraient le lendemain matin, ils avaient la journée pour se préparer. Medea quitta la salle, initiant le mouvement, suivie des trois chefs de garde. Nevra la rejoignit rapidement et relança le sujet de la réunion. Ils échangeaient calmement avant que la lorialet ne se mette à rire, déclenchant la colère d’Ezarel dans la foulée.

“Je pense que t’as autre chose à faire que te payer ma tête. J’ai pas l’intention de chercher ta meilleure amie à ta place Medea !”

Cette dernière sursauta, séchant ses yeux opalins remplis de larmes à cause des bêtises du vampire à ses côtés. Elle s’apprêtait à répliquer quand Valkyon intervint à son tour, il était très loin d’être aussi joyeux qu’eux. Sa mâchoire contractée et ses bras croisés témoignaient son agacement face à leur nonchalance ; Delfyn avait disparu. Comment Medea pouvait être d’aussi bonne humeur après une nouvelle pareille ?!

“Ezarel a raison, on devrait être en train de s’activer.”

Il y eut un silence que seul le son de leurs pas sur les dalles du couloir brisait, renforçant la tension entre eux. Valkyon se racla la gorge, toujours irrité du manque de sérieux de ces deux-là. L'œil gris de Nevra se posa sur le géant et soupira un peu, il se doutait bien que la colère de son ami allait finir par leur tomber dessus à ce rythme.

“On va la retrouver Valk, à part Ez’ on a pas l’intention de se passer de Fyfy.
_ Il peut pas se passer d’elle non plus, mais il tient trop à son image de tyran, ajouta la demoiselle du groupe.
_ Medea, viens surtout pas me trouver si tu as besoin d’aide. Je veux plus voir ta sale tête tant que t’as pas compris ton rôle ici.” lui cracha l’elfe alors qu’il la dépassait pour rejoindre le laboratoire d’un pas rageur.

Elle ne répondit rien et leva les yeux au ciel avant de fixer intensément ses pieds. Nevra soupira en les regardant à tour de rôle avant de lui proposer de lui tenir compagnie à la place du chef de l’Absynthe. La jeune femme avait secoué la tête en refusant son offre, sa relation avec l’elfe n’était pas si intime. Du moins c’est ce qu’elle lui avait dit. Valkyon n’ajouta rien à cela, s’il avait sa petite idée sur la véracité de l’info, il n’avait clairement pas envie de s’étaler là-desssus. Au contraire même, il avait presque envie de leur hurler dessus. Et il l’aurait fait, s’il n’avait pas remarqué le regard de la lorialet désormais rivé sur le sol, ce n’était pas les yeux de quelqu’un qui s’amuse mais ceux de quelqu’un qui se sent perdu. Nevra n’était pas un idiot, ce n’était pas non plus dans ses habitudes de prendre ce genre de mission à la légère. Cependant il  connaissait la lorialet mieux que lui, s’il l’avait fait rire c’est qu’il y avait une raison mais Valkyon avait beaucoup de mal à accepter un tel comportement, quand bien même fut-il justifié. Andromedea reprit son sérieux à mesure que le regard furibond du chef de l’Obsidienne lui brûlait le dos. Ce n’est pas qu’elle n’était pas inquiète au sujet de Delfyn, bien au contraire, mais elle ne pouvait pas faire grand chose de plus. S’énerver et dramatiser ne changerait rien. Miiko avait fait le bon choix, elle avait attendu d’être certaine de ne plus avoir de nouvelles avant de les réunir. La lorialet posa son regard sur Valkyon qui était toujours aussi tendu. Ils échangeaient rarement en dehors du travail, leur seul point commun connu était Delfyn. Il marchait toujours derrière elle, le regard droit devant lui, les poings serré. Medea n’avait pas besoin de le fixer pour sentir l'inquiétude qui avait pris possession de lui depuis l’annonce de Miiko : elle voyait très clairement cette brume recouvrir son inconscient. La lorialet se racla la gorge à son tour mais ne sourcilla pas quand les iris ambrés du faelien se posèrent sur elle, aussi menaçantes soient-elles.

“Je me doute que rien que je puisse dire ne te calmera mais, si ça peut te rassurer, je n’ai rien vu lui arriver.” osa-t-elle d’une voix claire avant de prendre la direction de la bibliothèque pour aller rédiger ses missives sans attendre sa réponse.

꧁꧂

Les deux premiers jours de recherche n’avaient rien donné. La fatigue et la tension grimpaient dans les équipes qui avaient été formées. Le chef des alchimistes s’était une nouvelle fois plaint de la perte de temps qu’étaient ces missions de recherche. Delfyn pouvait être n’importe où, et elle devait très certainement se trouver auprès de leur ennemi à se foutre d’eux avec ses papillons.

“Ça suffit Ezarel. Ne continue pas les recherches si ça t’irrite tant, je m’en occuperai moi-même.” tonna Valkyon qui contenait sa crainte et son agacement depuis trop longtemps.

Fulminant qu’un ami lui parle ainsi, l’elfe tourna les talons pour rejoindre le laboratoire duquel il claqua la porte derrière lui sans adresser un dernier regard aux deux autres chefs de garde. Nevra fit un pas vers Valkyon, posant une main compatissante sur son épaule, il était le seul à avoir encore un minimum les idées claires.

“On continuera demain avec ceux qui souhaitent poursuivre les recherches. J’irai parler à Ezarel, en attendant va te reposer, t’es épuisé Valk.”

L’obsidien acquiesça avant de quitter son ami pour rejoindre ses appartements. Comme convenu, le vampire suivit les pas d’Ezarel. Ce dernier, entendant la porte s’ouvrir, cracha qu’on le laisse tranquille.

“Calme-toi Ez. Mets-toi un peu à sa place, Delfyn est tout ce qu’il lui reste. Je veux dire… Bien sûr on est là, mais ce n’est pas pareil et tu le sais.
_ Je le sais oui, mais ça me tue de le voir se mettre dans cet état pour une nana qui ne veut même pas de lui.
_ Ça tombe bien il n’en veut pas non plus. Il n’a plus de famille, il vient de perdre Lance, Delfyn est un peu comme la seule famille qu’il lui reste.”

Ezarel soupira bruyamment avant de finalement se tourner vers son ami, visiblement plus détendu.

“Il est mal barré vu la tête de sa “famille”. Mais soit, je viendrais aux recherches demain, mais c’est le dernier jour où je m’implique.
_ Merci. Pour lui, et pour moi aussi, je te rappelle qu’on tient tous à elle.”

Sans attendre la réponse de l’elfe, Nevra quitta la pièce. Il savait par expérience que le meilleur moyen de convaincre le chef de l’Absynthe était de le laisser mariner tout seul sur la question. S’il tenait dur comme fer à garder cette façade, il n’avait pas mauvais fond et c’était un bon gardien. Ezarel était devenu chef bien avant lui, il ne laisserait pas l’une des leurs sans avoir fait ce qu’il considérait son maximum. Nevra lâcha un long soupir avant de se payer quelqu’un qui ne faisait visiblement pas attention.

“Hey ! Regarde où tu marches espèce de-”

Il s’arrêta net en reconnaissant la grande silhouette de Medea étalée par terre. Le borgne retint la fin de sa phrase et aida la lorialet à se redresser.

“Qu’est-ce que tu fais par là ? Je croyais qu’il voulait plus voir ta, je cite, “sale tronche”.
_ Désolée, j’étais en train de rêvasser sans réfléchir, ça me stresse cette histoire et comme il m’a bloqué l’accès au labo, je peux pas peindre.”

Le chef de l’ombre fut surpris de cette nouvelle, c’est bien la première fois qu’Ezarel mettait réellement quelque chose en place pour ne pas voir Medea. Ils s’étaient probablement disputés dans la journée, Karenn lui avait parlé de quelque chose à ce sujet ce matin lors des recherches mais il n’avait pas réellement écouté.

“C’est rare que vous vous disputiez."

Nevra marqua un temps d'arrêt et reprit :

"Je veux dire pour de vrai.
_ J’ai ma petite idée sur son irritabilité mais après on va me dire que tu as vraiment une mauvaise influence sur moi.
_ Maintenant que tu le sous-entends, c’est vrai que ça fait longtemps qu’il a pas vu Ewe.”

Ils échangèrent un regard complice en riant et Medea secoua la tête avant de regarder l’infirmerie, elle n’allait pas tarder à devoir y retourner.

“Elle est pas trop ronchon en parlant de notre infirmière ?
_ Elle le vit mieux que lui visiblement, pouffa-t-elle avant de se reprendre, non j’ai juste beaucoup de travail. J’ai étendu mon cercle de contact pour retrouver Delfyn, ça m’a pris plus de temps que prévu.”

Medea pouvait être d’un pragmatisme déconcertant pour ceux qui ne la connaissaient pas plus que ça. Elle donnait surtout l’air d’être en proie à ses émotions avec son air rêveur presque torturé, mais c’était quelqu’un de réfléchi.

“Tu as contacté qui ?
_ J’ai déjà fait toutes les cités proches. Balenvia, les Fenghuangs, la côte de Jade, Taniyn dans le désert… J’ai même contacté Genkaku.”

L’énumération semblait sans fin mais la lorialet s’arrêta enfin pour respirer. Elle commençait malgré elle à perdre espoir de retrouver la fée du QG, bien qu’aux dernières nouvelles Delfyn était plus proche d’une pixie que d’une fée.

“C’est un peu comme une bouteille à la mer mais Miiko m’a conseillée de tenter Ampedia. On ne sait jamais, on a estimé à peu près jusqu’où ils auraient pu marcher dans le temps imparti. Honnêtement Nev, c’est uniquement parce que je n’ai pas vu sa perte que je tiens encore.
_ On va la retrouver Medi.”

Le ton serein de Nevra et sa main sur son épaule pâle rassurèrent un peu Medea. Quand il n’était pas en train de faire le zouave, c'était l’une des rares personnes avec qui elle appréciait être. Il y eut un temps de flottement qui fut rompu par la lorialet. Le contact n’était pas ce qui la mettait mal à l’aise mais elle refusait de le laisser entrevoir cette facette vulnérable de sa personnalité.

“Tu as raison, merci. J’y vais j’ai encore du boulot, avoua l’enfant de la lune.
_ Ça marche…”

Nevra avait répondu presque machinalement, il voyait bien qu’elle fuyait la conversation depuis le début. Elle le baladait sur les sujets dont elle avait envie de parler sans forcément répondre à ses questions. Il passa nerveusement une main dans ses cheveux d’ébènes en baissant son regard sur le sol, elle était toujours comme ça avec lui et ça avait le don de le rendre complètement fou. Medea était à la fois l’une des gardiennes les plus proches de lui, il savait que le sentiment était partagé mais il avait cette désagréable sensation d’être systématiquement tenu à l’écart. Elle allait se tourner pour continuer sa route quand il l’intercepta une dernière fois.

“Si jamais tu veux venir en parler plus tard, je suis là…
_ Merci Nevra.”

Le chef de l’Ombre attendit un peu qu’elle poursuive mais la lorialet n’en fit rien. Elle lui fit un sourire, un signe de main et fila pour rejoindre l’infirmerie. Il lui rendit son geste puis soupira : elle ne viendrait pas, comme d’habitude.

꧁꧂

Le soleil commençait son déclin, Ezarel avait passé la journée dans cette fichue forêt encore une fois. Il en avait assez de vérifier la moindre motte de terre à la recherche de la catastrophe de l’obsidienne. Sur la semaine ils n’avaient pas trouvé grand chose mis à part quelques débris de campement mais il était impossible de savoir si Delfyn avait été sur l’un d’entre eux. Il soupira bruyamment en regardant les rayons filtrés par la verdure donner des allures d’or au sol de la forêt.

“Séparons-nous une dernière fois, chacun une zone et on rentre. Je prends la plus loin, on se retrouve à la grande porte.” ordonna-t-il avant de donner sa zone à chacun et de partir dans une autre direction.

S’il avait bien fait ses calculs, normalement Delfyn devrait passer par la zone couverte par Valkyon avant la sienne, ça lui éviterait d’avoir à la transporter. Ezarel ne pensait vraiment pas qu’ils la retrouveraient de si tôt, d’un autre côté il savait pertinemment qu’Andromedea avait raison : Delfyn était en vie. C’était pas seulement une question de confiance, c’était comme si l’univers lui envoyait des signaux, l’heure n’était pas à la célébration.

“EZAREL !”

Le dénommé s’arrêta net, comme s’il avait été frappé par la foudre. Voilà qu’il se mettait à halluciner Delfyn. Il ferma les yeux comme pour chasser cette idée saugrenue de sa tête et repris sa recherche. Mais, de nouveau, il eut l’impression d’entendre la voix de crécelle de la fée dans ses oreilles. Il ferma les yeux plus fort pour essayer de faire baisser le volume de ladite voix avant de placer ses mains devant son front.

“Ô grand Oracle, tout mais pas entendre la voix de Delfyn comme punition pour avoir dit qu’on pouvait la laisser avec l’ennemi pour être sûr de faire capoter leur plan.” pria-t-il pour lui-même.

Malheureusement pour lui, il entendit de nouveau le tintement niais de la dynnienne et se força à ouvrir les yeux, ne sachant plus vraiment s’il préférait halluciner ou se retrouver en face d’elle. Ses grands yeux turquoises se posèrent directement sur la petite silhouette de la grande recherchée qui lui faisait des signes un peu plus loin. Ezarel ne vit d’abord pas grand chose de plus qu’un bras derrière un buisson puis il entrevit la totalité de sa petite personne. Il fut surpris de constater qu’elle avait complètement retrouvée son hideuse apparence de fée en parfaite communion avec la nature, avec plus de cernes sous les yeux.

“Pincez-moi je rêve, pourquoi c’est pour ma pomme, grommela l’elfe, DELCHOUINE ! Fait demi-tour, t'es plus des nôtres !”

Delfyn courait à grandes enjambées dans sa direction alors qu’il lui criait de partir à mesure qu’elle approchait, ce qui en soit était déjà une scène digne de ses plus grands cauchemars. Fidèle à lui-même, il se devait de l’envoyer loin de lui, mais la voir aussi énergique le rassurait.

“ Je pensais pas dire ça un jour dans ma vie, commença-t-elle en atteignant Ezarel, mais qu’est-ce que je suis contente de voir ta sale tête à grandes oreilles.
_ Va plus loin y’a Valkyon par là-bas”, lui indiqua l’elfe avec un petit rire.

Il se toisèrent un petit moment, le chef de l’Absynthe en profita pour détailler la donzelle. Ses cheveux avaient retrouvé le rose criard qu’ils arboraient avant sa transformation, la pigmentation de sa peau et ses yeux malicieux et plein de vie étaient de retour. Il nota qu'elle n’avait plus ses ailes en constante exposition ce qui était signe qu’elle n’avait de nouveau plus la possibilité de voler avec sous cette forme. Delfyn était haletante, après plusieurs regards derrière elle, elle reporta son attention à l’elfe aux cheveux bleus.

“Emmène-moi à Miiko triple andouille, mes pieds ne tiendront pas deux mètres de plus.
_ T’as des supers ailes non ?”

Pour toute réponse, la jeune femme s’écroula sur lui et un hurlement de dégout raisonna dans la forêt.

꧁꧂

Andromedea et Eweleïn étaient en train de finir de mettre au point un nouvel onguent quand Ezarel fit irruption dans l’infirmerie en râlant.

“Non mais je rêve, elle me force à la toucher en plus cette grande folle. Elle inquiète tout le monde, elle prévient personne et elle se pointe comme une fleur pour bousiller ma journée !
_ Delfyn ! S’exclamèrent les infirmières en se redressant brusquement.
_ Je te rend ton familier préféré.” lâcha le chef de l’Absynthe à l’attention de la lorialet, déposant avec une étonnante délicatesse la fée inconsciente sur le lit.

En levant les yeux au ciel, Eweleïn commença l'auscultation de la dynnienne, un sourire amusé sur le visage. Medea terminait de préparer les instruments de l’infirmière en chef et intercepta Ezarel avant qu’il ne parte, posant sa main sur son avant-bras.

“C’est pas possible, j’ai un panneau “touchez-moi” dans le dos ?!
_ Merci.”

Le calme de sa réponse ferma la grande bouche de l’elfe qui retira lentement son bras. Le regard opalin de la lorialet le fixait avec toute la gratitude du monde et il sentit le sang lui monter au visage. D’un geste vif, il se retourna en secouant la tête.

“C’était ma mission, j’suis pas un monstre.
_ Non mais t’es parfois un sacré crétin.
_ … J’ai changé d’avis je vais la donner à un blackdog.”

Andromedea retint un petit rire et secoua la tête avant de rapidement regarder Eweleïn avant de se tourner de nouveau vers son ex mentor.

“Si tu veux, je connais deux trois combines contre l’odeur de fée, chuchota-t-elle avec son air innocent.
_ Rend-moi service Medea et donne lui un sédatif après son rapport, blagua-t-il avant de glisser une des mèches d’argent de la jeune femme derrière son oreille. On verra si je suis d’humeur plus tard.”

Sur-ce il quitta l’infirmerie pour rejoindre la salle du cristal et faire son rapport à Miiko, laissant Delfyn aux professionnelles. Andromedea assista Eweleïn jusqu’à la fin du diagnostic qui fut rapidement rendu, la fée était juste exténuée. Elles ignoraient quand, où et comment elle avait retrouvé son apparence mais la lorialet supposait que ce soit lié à un retour complet des capacités de Delfyn. De plus, elle ne percevait plus le nuage sombre qui avait pris possession de l'inconscient de la dynnienne.

“Ne vend pas les sabots du beriflore Medea, le changement d’apparence est peut-être un effet secondaire.”

La lorialet roula les yeux en secouant la tête avec un sourire suite à la remarque de sa collègue. Eweleïn avait tendance à être trop inquiète mais Medea était confiante. L’ouverture brutale de la porte fit sursauter les deux infirmières, laissant passer la montagne qu’était Valkyon. L’inquiétude déformant son visage leur avait ôté toute idée de le reprendre sur son irruption dans la pièce dédiée au repos des patients. Eweleïn s’avança vers lui avec un sourire rassurant.

“Elle va bien, elle est juste épuisée. Je t’autorise cinq minutes si tu me promets de ne plus débouler comme ça dans l’infirmerie.”

L’obsidien acquiesça tandis que l’infirmière en chef lui adressa un clin d'œil avant de s’éloigner avec Medea pour s’occuper d’un autre patient. Silencieusement, Valkyon prit place sur la chaise au chevet de la fée. Il sentit son cœur s’apaiser d’un poids en constatant qu’elle semblait en effet aller bien et paisiblement endormie. Elle avait retrouvé son apparence habituelle, ce qui termina de le rassurer pour de bon. Les quelques minutes accordées par Eweleïn s’écoulèrent silencieusement. Le faelien n’était pas du genre à s’ouvrir, et encore moins devant quelqu’un qui ne l’entendait certainement pas, mais il quitta l’infirmerie le cœur léger ayant en tête cette image saine et sauve de son amie.

꧁꧂

La nuit fut réparatrice et Delfyn ouvrit les yeux au petit matin. Elle fut d’abord soulagée de reconnaître le plafond de l’infirmerie. Elle avait réussi à retourner à la garde. Très rapidement cependant elle réalisa que si elle était ici, c’est qu’elle n’était pas retournée à la garde mais qu’on l’y avait amenée. Elle eut le vague souvenir de s’être chamaillé avec Ezarel et s’empressa de vérifier qu’elle n'avait pas de trace sur le corps : il serait bien du genre à la traîner par les pieds de la forêt jusqu’à l’infirmerie. Un rire la fit sursauter et ses yeux bleus se posèrent sur la silhouette longiligne de Medea qui lisait les notes d’Ewe. Leurs regards se croisèrent et la lorialet vint assister son amie avec douceur, un sourire rassuré sur le visage.

“Ezarel ne t’a pas malmené, il n'est pas si terrible.”

Il y eut comme un moment de flottement et elles se jetèrent dans les bras de l’autre, un grand soulagement les gagnant toutes les deux. Les mains de la fée se serrèrent sur le dos de Medea juste là où étaient les cicatrices de cette dernière. Ce n’était pas un rêve, elle était bien de retour à Eel. L’enfant de la lune se recula un peu avant de fixer la jeune femme aux cheveux de nouveau rose bonbon. Delfyn vit très bien la lueur dans les yeux de son amie : elle allait la bombarder de questions.

“Tout doux Medea, je viens de me réveiller.
_ T’es la première à venir me parler au réveil. Raconte-moi tout !
_ Je dois absolument aller voir Miiko,je n’ai pas de temps à perdre Medea, désolée. ”

La lorialet fixa son amie pendant un petit moment, rongeant son frein. Comment ça elle n’avait même pas le temps de lui dire quoi que ce soit alors qu’elle avait été ramenée par Ezarel sans savoir d’où elle venait ni pourquoi elle tenait à peine debout.

“Je pense avoir le droit de te demander quelques explications Delfyn. Tu n’as pas donné de nouvelles pendant quasiment une semaine, Ez te retrouve à la limite de l'évanouissement en train de courir dans ses bras, je trouve pas ça normal.
_ J’ai vraiment pas le temps Medi. Vérifie si tout va bien et laisse-moi filer faire mon rapport, c’est important. Très important.”

Le ton dans la voix de Delfyn et son air grave provoqua un frisson le long de la colonne vertébrale de son amie. Non sans soupirer de frustration, Andromedea l’ausculta une dernière fois avant de la laisser partir. Delfyn savait qu’elle allait probablement lui en vouloir un peu, elle voyait bien que l’enfant de la lune était un peu fâchée mais elle ne pouvait pas se permettre de perdre du temps, il fallait mettre Miiko au courant le plus tôt possible.

Chapitre 9 : "Que la fête commence ."

Attention/TW Ce chapitre comporte des scènes évoquant violence, propos sexiste, abus d'alcool
Dans le cas ou vous souhaiteriez évitez ces passages, les symboles ⟨ ⟩ (colorés et en gras) vous indique le début et la fin du passage.
Nous vous souhaitons une bonne lecture.

     Miiko semblait attendre sa venue lorsque Delfyn se présenta devant la salle du Cristal. Jamon l’invita à entrer avec un sourire qui laissait entrevoir ses énormes crocs. Le géant semblait également ravi de la retrouver. Miiko invita la fée à avancer vers elle.

“Ravie de voir que tu ressembles de nouveau à quelque chose Delfyn. Comment tu te sens ?
_ Fatiguée, soupira la dynnienne, mais j’ai assez d’énergie pour vous faire mon rapport, c’est assez urgent.
_ Je dois m’inquiéter ?”

La mine mal à l’aise et le regard fuyant de Delfyn confirmaient les craintes de la kitsune qui soupira bruyamment. La cheffe de garde fit glisser son regard vers l’ogre qui se tenait toujours près de l’entrée de la pièce.

“Jamon, fais réunir l'Étincelante s’il te plaît.”

L’ogre acquiesça d’un signe de tête avant de quitter la pièce. Le silence qui s’installa dans l’attente de l’arrivée des autres renforça le malaise qui grandissait en Delfyn. Elle ne s’était retrouvée seule avec la kitsune qu’en de rares occasions, et ce d’autant plus depuis sa nomination à la tête de la garde. La fée se balançait nerveusement sur ses deux pieds, n’appréciant pas l’ambiance autour d’elle, tant qu’elle finit par se convaincre qu’échanger des banalités ne pourrait pas s’avérer pire que ce silence. Le regard foudroyant de Miiko l’arrêta lorsqu’elle ouvrit la bouche après s’être raclé la gorge. La dynnienne pinça les lèvres pour les maintenir closes et pria intérieurement pour que quelqu’un arrive au plus vite. Ses demandes furent exaucées. Les membres de l'Étincelante rejoignirent la salle du cristal au compte goutte, et les queues de Miiko qui fouettaient l’air, témoignaient de son impatience et de son appréhension quant au rapport que la fée allait leur faire. Ykhar fut la dernière à arriver, elle s’excusa d’un petit sourire à la kitsune dont la main était crispée sur son bâton.

“Maintenant que tout le monde est là, nous t’écoutons.”

Si la fée s’attendait à raconter les événements devant le comité que représentait l'Étincelante, elle n’en était pourtant pas spécialement à l’aise. Se tenir ainsi devant eux commençait à devenir une habitude que Delfyn n’appréciait que très peu, et elle comptait bien à ce qu’il s’agisse de la dernière fois. Ses iris parcouraient la rangée de gardiens avant de se poser dans le regard ambré de Valkyon, qui malgré son expression fermée, traduisait la plus grande des douceurs et semblait l’encourager. L’idée de le retrouver enfin une fois cette réunion terminée la poussait d’autant plus à se lancer.

“Ashkore n’est pas qu’un guignol qui a envie de détruire le cristal pour embêter le monde. Il est en train de monter une armée.”

L’information qu’avait rapporté Delfyn eut l’effet d’une bombe, laissant un lourd silence que seul le vampire osa rompre.

“Comment tu peux en être aussi sûre ?”

Delfyn prit une grande inspiration pour remettre ses idées en place et calmer son cœur tambourinant au souvenir tourmenté de ces quelques temps passés aux côtés de l’ennemi. Elle expédiait le récit des premiers jours qui n’avait rien de particulièrement intéressant, jusqu’au jour où elle avait enfin réussi à faire parler Collynn. À partir de ce jour, ses responsabilités au sein du trio avaient vu une hausse, elle avait été choisie pour mener les négociations auprès des centaures.

“Évidemment, Sofos est resté fidèle à Miiko. C’est là qu’Ashkore et Collynn ont commencé à se comporter bizarrement, ils ont été étrangement aimables avec les centaures et leur ont offert du vin. C’est là que tout a dérapé...”

_________________________________________

Ashkore et son second avaient laissé les centaures avec le baril qu’ils avaient apporté intentionnellement. Delfyn savait qu’ils avaient quelque chose derrière la tête et elle se tenait sur ses gardes. Ils se stoppèrent une fois l’orée de la forêt atteinte. Camouflés entre les arbres, ils avaient attendu sûrement une heure ou deux, sans que la pixie ne sache pourquoi. Évidemment aucun ne s’était décidé à lui répondre. Le son de la fête dans le village parvenaient plus distinctement à leurs oreilles, signifiant que les centaures étaient sûrement déjà bien éméchés.

“Allons-y.”

Collynn opina immédiatement à l’ordre d’Ashkore, et Delfyn dû suivre les deux hommes jusqu’au hameau qui célébrait joyeusement ce cadeau en baril. D’un signe de tête, ils convinrent de se séparer comme prévu. Tandis que l’elfe s’éloignait, Ashkore passa près de la pixie.

“Reste sage pendant qu’on gère ça avec Collynn.
_ Je ne pense pas avoir d’autre choix de toute façon, répliqua la jeune femme.”

Sans répondre, Ashkore quitta le champ de vision de Delfyn, disparaissant entre la troupe un peu trop joyeuse de centaures.

_________________________________________

“Je ne comprends pas ce qu’ils essayaient de faire malgré le refus des centaures, se questionna Keroshane.
_ Honnêtement je n’en avais aucune idée non plus, mais ils avaient tout prévu depuis le début. Ils savaient que les centaures refuseraient certainement et ont appuyé sur leurs faiblesses, répondit la fée.
_ Comment ça ? questionna Valkyon.
_ Le vin, ça les rend fou.” répondit Delfyn avant de poursuivre.

_________________________________________

Sofos trinquait joyeusement avec ses congénères. La couleur tirant au carmin de ses joues témoignait qu’il n’en était pas à son premier verre de vin. Quitte à devoir attendre que les deux idiots aient fini leurs cachotteries, Delfyn s’autorisa à avancer vers le baril où l’un des centaures était posté pour servir chacun. Pas le moins du monde étonné par une présence autre que celle de son espèce, il lui servit un verre de ce précieux nectar et elle le remercia d’un sourire avant de s’éloigner un peu de la foule pour observer de loin, à la recherche de ses deux partenaires. Elle repéra Collynn qui semblait en grande discussion avec le centaure à la robe blanche qui les avait intercepté à leur arrivée un peu plus tôt. Delfyn n’avait vraiment aucune idée de leur motivation pour jouer les hommes bienveillants. Si elle n’avait pas appris que leur esprit était malignement tordu, la pixie aurait pu croire qu’ils souhaitaient simplement profiter d’une soirée. Des bruits de sabots avançant vers elle la sortirent de sa torpeur tandis qu’elle avalait une gorgée de sa boisson. Un frisson désagréable traversa son corps lorsqu’elle croisa le regard de Teratodis.

“Regardez qui voilà. Aurais-tu changé d’avis douce créature ?”

Delfyn sentit sa gorgée de vin remonter dans son oesophage devant le sourire malsain du centaure à la robe noire.

“Certainement pas, plutôt crever, maugréa la pixie.”

⟨ 
Au son des sabots martelant le sol tandis qu’il s’avançait de nouveau vers elle, la jeune femme fit un nouveau pas en arrière. La jeune femme pinça ses lèvres. Ces mots lui avaient échappé. Si Ashkore et Collynn ne tenaient presque plus compte de ses répliques acerbes, il n’était pas une bonne idée de reproduire cette habitude sur Teratodis dont la queue d’ébène battait sèchement dans les airs.

“Merveilleux, je les préfère farouches.”
⟩

Delfyn hésita un instant à lui cracher son vin à la figure mais se retint. Teratodis était imprévisible, encore plus sous l’emprise de l’alcool. Maintenant qu’elle l’avait contrarié, il lui fallait garder son calme si elle voulait s’en sortir indemne.

“Dégage.”

L’odre d’Ashkore résonna sèchement dans l’air tandis qu’il s’interposait entre les deux. Sous l’impulsion de la colère, ses doigts avaient entouré la dague à sa ceinture. Collynn rejoignit le groupe l’instant d’après afin d’apaiser les tensions et ainsi continuer de mettre en place leur plan. Traînant Delfyn par le poignet, le masqué s’éloigna.

“Je t’avais dit de rester sage.
_ Parce que c’est ma faute si les hommes ne savent pas tenir leur queue ?”

_________________________________________

“En quoi c’est important de savoir ça ? soupira l’alchimiste.
_ Ça prouve que cet enfoiré est un peu trop impulsif, et qu’il aurait très rapidement pu foirer leur plan. Mais si tu me laissais finir sans me couper tu le saurais certainement déjà Ezarel.”

_________________________________________

Bien que chancelant sur ses sabots, Teratodis avait pris la direction du groupe où se trouvait leur dirigeant. Les sourires narquois des autres centaures montraient bien que ces derniers savaient très bien ce qu’il se tramait, et ils se régalaient d’avance de la tournure des évènements. Delfyn s’était faite traînée un peu plus loin par Ashkore, suivi par Collynn et les deux hommes s’installèrent confortablement pour admirer le spectacle.

“Quel plaisir de voir des idiots faire le sale boulot à ma place” se délecta le masqué.

Peu sûre de comprendre la suite des évènements, Delfyn fut cependant rassurée d’être loin de l’effervescence qui commençait à grimper entre les centaures. Elle s’assit auprès d’Ashkore dans le mince espoir qu’il la protège comme il l’avait fait auparavant si les choses dérapaient trop. Le bruit d’une épée quittant son fourreau fit sursauter la pixie qui ne put quitter la scène des yeux. Sofos et Teratodis s’étaient lancés dans un combat impitoyable qu’aucun des deux ne semblait mener.

“Pourquoi est-ce qu’ils se battent ?”

La question avait échappé à Delfyn, mais la scène à laquelle elle assistait lui paraissait irréelle. Cette soirée qui était censée être festive se transformait en chaos. Un chaos qu’Ashkore semblait avoir orchestré vu la fierté qui débordait de son armure.

“Parce que Teratodis a défié Sofos en réclamant la place de chef. C’est un combat à mort selon la tradition des centaures.”

Collynn n’avait pas quitté le duel des yeux tandis qu’il répondait à la question de la dynnienne. La jeune femme aurait juré voir le fantôme d’un sourire sur les lèvres de l’elfe qui semblait savourer un peu trop ce spectacle pour être considéré comme sain d’esprit.

“Je ne comprends pas ce qu’il leur prend. Il y a une heure, ils tenaient le conseil ensemble. Qu’est-ce que vous avez fait pour que les choses tournent ainsi ?
_ Crois-tu réellement que je leur aurai offert du vin pour le plaisir de les voir heureux ?” ricana Ashkore.

Delfyn grimaça à cette remarque. En effet, cela ne semblait pas être son genre d’avoir ainsi le cœur sur la main.

“Et donc tu as mis quelque chose dedans ?
_ Cesse avec tes questions et laisse le chef admirer son œuvre.”

Collynn se fit foudroyer du regard par la jeune femme qui se renfrogna. Heureusement qu’Ashkore se trouvait entre eux deux, elle l’aurait volontiers étranglé le cas contraire.

“Je pense que le chef, répliqua-t-elle en insistant sur ce dernier mot, sait très bien s’exprimer lui-même et me l’aurait fait savoir si mes questions le dérangeait. Puisque c’est toi que mes interrogations semblent perturber, je te suggère d’aller admirer ton spectacle ailleurs.”

L’elfe s’apprêta à répliquer à un tel affront mais fut coupé par Ashkore qui avait levé une main devant son acolyte pour l’inviter à se taire.

“Je n’ai rien eu à glisser dans le vin, les centaures ont une mince tolérance à l’alcool. Nous n’avons eu qu’à souffler quelques idées une fois leur esprit trop embrumé par la boisson pour que cet imbécile de Teratodis se sentent pousser des ailes et confronte Sofos.
_ Et avec Teratodis à la tête des centaures vous vous assurez de les rallier de votre côté.”

Un léger signe de tête d’Ashkore confirma à la jeune femme ce qu’elle avait conclu de leur échange. Le masqué avait vraiment un esprit tordu, il avait bien des coups d’avance sur les centaures pour s’assurer de repartir avec ce qu’il voulait. Il faudrait à la garde de nombreuses réflexions lorsque viendrait leur tour de confronter Ashkore. Delfyn reporta son attention sur le duel que les foules acclamaient. Ni Sofos ni Teratodis n'avaient faibli. Leur force paraissait égale, le fer se croisait durant ce qui semblait être une éternité sans que l’un ne montre signe de faiblesse. Autour d’eux, les centaures se délectaient de ce spectacle, encourageant les combattants à se déchainer plus encore. L’acier traça un long sillon carmin dans le biceps de Sofos qui grogna en répliquant avec plus d'ardeur encore. Sa lame parvint en retour à toucher le flanc de son adversaire qui poussa un cri de rage.

“C’est ça que vous voulez laisser faire ?  Avoir un lâche en tant que chef ?” hurla le centaure d’ébène à l’assemblée tandis qu’il paraît un nouveau coup.

Des murmures s’élevèrent parmi les centaures, les mots de Teratodis s’insinuaient en eux comme l’alcool qui avait pris possession de leurs esprits.

“Révoltez-vous à mes côtés, rendons aux centaures leur grandeur d’antan, nous sommes des guerriers !”

Sofos se débattait avec fureur malgré la douleur lancinante dans son bras dont le sang s’écoulait toujours.

“Mes frères ne vous laissez pas endoctriner par le vice ! Nous sommes un peuple noble et fort !” se défendit le dirigeant dont la place était remise en question.

La réplique de Sofos fit rire le noiraud qui répondit aussitôt.

“Notre place est au combat, si nous devons rejoindre le combat, tel sera notre engagement. Qu’a fait la garde pour nous ces dernières années ? Ces salops sont bien trop obnubilés par leur nombril pour s’intéresser à nous. Ashkore nous promet de grandes choses que ni la renarde ni Sofos ne saurons nous offrir.”

Plusieurs centaures approuvèrent les paroles de Teratodis avec un cri rageur. Le futur qu’il leur vantait était bien plus séduisant que le quotidien paisible et monotone qu’ils vivaient avec Sofos au pouvoir. Trop concentré sur sa gloire face au discours de leur chef, Teratodis manqua de voir son abdomen transpercé par la lame de son opposant. L’intervention de deux centaures rejoignant ses rangs contre Sofos lui permit d’esquiver l’attaque qui lui aurait été fatale. Si une poignée de fidèles se rangèrent auprès de leur dirigeant, la grande majorité des centaures approuvaient le raisonnement de Teratodis.

“J’arrive pas à croire que ça fonctionne...” s’horrifia Delfyn face à la rébellion du peuple.

Les deux hommes à ses côtés semblaient se délecter du spectacle tandis que le visage de Delfyn peignait une expression entre panique et horreur. ⟨
Devant ses yeux, chaque membre du peuple s’était joint à la bataille, les femmes et enfants s’étaient réfugiés dans les maisons tandis que le sang coulait de cette confrontation tendue. Lorsque la tête rousse de Sofos roula sur le sol, le choc fut tel que les membres de Delfyn se figèrent. Son cœur sembla s’arrêter quelques secondes devant l’horreur qu’elle avait sous les yeux, son estomac sur le bord des lèvres.
⟩
Puis le corps de l’alezan s’écroula. Lorsque les membres de la pixie se délièrent, elle porta une main à ses lèvres, se levant en trombe pour courir vers la forêt, si vite qu’elle manqua de finir au sol plusieurs fois. Au pied d’un arbre où elle s’appuyait, son estomac se vida jusqu'à éliminer chaque goutte de bile. Sa vue était embrumée, sûrement par les larmes qui n'avaient cessé de glisser le long de ses joues après cette vision qui se rejouait sans cesse dans son esprit. Tout devenait flou, la pixie avait cette impression que la réalité se tordait autour d’elle, que la forêt tournoyait. Plus aucun son ne parvenait à ses oreilles hormis un bourdonnement qui paraissait infiniment lointain. Elle voulait crier mais même ses cordes vocales semblaient atrophiées par le choc. Delfyn ne sut combien de temps elle resta dans ce tourbillon infernal, appuyée contre l’arbre. Ce fut avec difficulté que la jeune femme repris possession d’elle-même. Le son parvenait de nouveau à ses oreilles. La fête avait visiblement repris de plus belle. Une nouvelle remontée acide irrita son oesophage qu’elle cracha dans l’herbe avant d’essuyer sa bouche avec le dos de sa main tremblante. La dynnienne cligna des yeux plusieurs fois pour observer les alentours. Lorsque ses pupilles se posèrent sur le village, de nouveaux flashs d’horreurs se dessinaient devant ses yeux, rappelant la scène qu’elle avait vue. Delfyn ferma les paupières en serrant les doigts sur les pans de sa jupe. Elle voulait effacer ce souvenir de son esprit, elle ne voulait plus jamais y penser, c’était trop dur de voir tant d’atrocité. Dans un nouveau élan nauséeux, la jeune femme tourna les talons pour faire face à la forêt et se mettre à courir sans réfléchir. Tout ce qu’elle désirait était se trouver aussi loin possible de ce cauchemar. La cavale de la dynnienne fut longue avant qu’elle ne stoppe sa course pour faire une pause essoufflée. Elle était épuisée, mais la traversée de la forêt et d’une partie du désert avait eu l’avantage de lui faire oublier l’horreur dont elle avait été témoin. En s’écroulant sur le sable chaud, elle sentit toute la peur et l’angoisse redescendre d’un coup. Qu’avait-elle fait ?

_________________________________________

“Je me suis rendue compte à ce moment-là que mon apparence avait de nouveau changé. Je voulais repartir vers Ashkore et rattraper cette erreur, mais vu ma transformation physique j’ai eu peur qu’il me condamne pour l’avoir trahi donc j’ai choisi de revenir au QG.
_ Comment ça se fait que tu aies retrouvé ton apparence de fée ? Il me semble qu’on n’avait rien trouvé dessus...”

La réflexion d’Ykhar souleva le questionnement général. L’inversement de la transformation était-elle si aléatoire ?

“J’avoue que je ne comprends pas tout.. Mais je pense que devant l’horreur que j’ai vu, commença Delfyn la voix tremblante à ce souvenir, mon corps a fait comme un rejet de la pixie en moi. Parce que je ne pouvais absolument pas cautionner ces atrocités.”

Un silence bien trop long fit suite au long monologue de la fée, aucun gardien n’osait le rompre avant la cheffe de garde qui semblait en profonde réflexion. Nevra sembla prêt à rompre ce mutisme général, mais la voix de la kitsune résonna avant.

“As-tu eu mention d’autres peuples qu’Ashkore souhaitait rallier à sa cause ?
_ Non.. Malheureusement je commençais à peine à me faire une place parmi eux, je n’ai pas eu l’occasion de récolter d’autres informations qui auraient pu être utiles.
_ Savoir qu’il l’a fait et peut vouloir le faire de nouveau est déjà une information suffisamment importante Delfyn, la rassura le vampire, tu as fait de ton mieux.”

La fée remercia son ami d’un discret sourire. Le fait de savoir que sa mission n’avait pas été vaine la rassurait, si elle avait pu être un minimum utile à la garde, elle était satisfaite.

“Andromedea, je souhaiterai que tu contactes tous nos alliés, nous ne pouvons pas nous permettre d’en perdre d’autres.”

La lorialet acquiesça avant de quitter la pièce pour exécuter sa tâche qui lui prendrait de nouveau un long moment. Si la jeune femme connaissait leurs alliés sur le bout des doigts, la diplomatie avec laquelle il lui faudrait tourner la nouvelle dans ses lettres allait lui demander plus de réflexion. La salle se vida petit à petit, et Delfyn quitta les lieux après une dernière confirmation de Miiko qui lui laissait quartier libre. Sa surveillance était désormais terminée maintenant qu’elle avait retrouvé son apparence normale et prouvé son allégeance à la garde. Pouvoir se reposer enfin après tant de mésaventures allait lui faire un bien fou.

꧁꧂

Lorsqu’elle descendit les dernières marches, la fée aperçut Valkyon qui l’attendait dans le corridor. D’un même mouvement, un sourire étira leurs lèvres lorsque leurs regards se croisèrent. Il n’en fallut pas plus pour que Delfyn saute l’ultime marche qui la séparait de son ami. L’étreinte qu’ils partagèrent dura certainement bien plus longtemps qu’ils ne le pensaient. L’un comme l’autre n’arrivait pas à lâcher la personne si précieuse à leurs yeux qui leur avait tant manqué. Une étreinte puissante, mais silencieuse. Un silence qui en disait bien plus que n’importe quels mots. La dynnienne fut la première à le briser.

“Désolée de t’avoir inquiété.
_ Tu m’as manqué Delfyn.”

La fée se recula, son sourire n’ayant pas quitté ses lèvres. La lueur d’inquiétude brillait encore légèrement dans les iris d’or du faelien.

“Je sais, tu m’as au moins autant manqué Valkyon. Promis je ne te lâche plus maintenant, tu en regretteras presque mon épopée avec Ashkore.”

Un léger rire traversa les lèvres de l’obsidien et Delfyn attrapa son bras pour avancer vers lui en direction de la salle des portes.

“Je meurs de faim après tout ça, tu m’accompagnes ?
_ J’ai l’impression de ne pas avoir trop le choix.”

En effet, Delfyn l’entraînait déjà en direction du domaine de Karuto.

“Tu veux parler de ce qu’il s’est passé ?
_ Non ça ira.. Merci. J’ai juste envie d’oublier.
_ On est là si tu as besoin.”

La dynnienne le remercia d’un sourire tandis que tous deux s’installaient en face d’un bon repas chaud préparé par le chef. Ils y restèrent une bonne partie de la journée après s’être rempli l’estomac, racontant leurs récentes péripéties, jusqu’à être interrompus par l’irruption de Medea dans la cantine. L'Étincelante leur fit un sourire en replaçant une de ses mèches d’argent derrière son oreille.

“Je cherchais Delfyn, annonça la lorialet avant de se tourner vers Valkyon, je peux te l’emprunter un peu ?”

La concernée salua son supérieur d’un signe de la main en lui souhaitant une bonne nuit avant de suivre Andromedea à travers les couloirs. Une fois à l’extérieur sous la lumière des étoiles, les deux amies s’installèrent dans le jardin de la musique. L’enfant de la lune redressant un peu le pan ample de sa jupe en voile pour pouvoir glisser ses pieds dans la petite étendue d’eau qui striait l’herbe jusqu’à la magnifique fontaine qui participait à embellir l’extérieur. Son amie la regarda faire en souriant avant de l’imiter, relevant le bas de sa robe pour ne pas mouiller le tissu. Il y eut un petit temps de silence que Medea brisa d’un raclement de gorge ce qui attira l’attention de Delfyn qui adressa un regard curieux à la lorialet. Cette dernière sembla chercher ses mots quelques secondes avant de soupirer, attrapant la main de son amie.

“Je pars en mission demain. Je pars dans la forêt de Dynn.”

Un silence s’installa, aussi pesant que l’estomac de la fée qui sembla s’être transformé en pierre. Delfyn s’était attendue à ce que son amie reprenne leur discussion précédente à l'infirmierie qu’elle avait coupé dans l’urgence d’aller voir Miiko. Elle s’attendait à parler des rumeurs du QG, à taquiner Medea en ce qui concernait Nevra et ses nombreuses tentatives infructueuses. Là, sous le ciel étoilé, les pieds dans l’eau un peu trop froide des jardins, la fée pensait avoir droit à une soirée avec plus de légèreté que ce que les semaines précédentes lui avaient accordé. Son répit avait semblé amèrement court. La dynnienne sentait son ventre se tordre, sa gorge se serrer. Elle ne voulait pas penser à Dynn, pas maintenant. Malgré toute la douceur qu’avait mis Andromedea dans son geste, Delfyn sursauta lorsque son amie posa une main sur les siennes.

“En pensant à l’état de la forêt, on en est venu à la conclusion que quelque chose clochait réellement ; on pense à un morceau de cristal, tenta–t-elle de la rassurer. Miiko ne voulait pas t’en parler pour éviter que tu essaies de te joindre à la mission. Ne le prend pas mal mais on craint que ton état ne soit pas assez stable pour y retourner avec la forêt en l’état. Je ne pouvais pas me résoudre à te mentir au sujet de mon départ, tu as le droit de savoir ce qui se passe sur les terres de ton enfance. Si Nev’ me passe un savon je lui dirais exactement ça tiens.”

La lorialet sentit son amie se tendre. Elle savait que l’inspiration longue que la fée prenait lui servait à tenter d’apaiser la vague de sentiments qui venaient de la chambouler, et le tremblement de ses doigts sous sa main en étaient témoins.

“Vous pensiez réellement me cacher la réalité sur ma forêt natale sous prétexte que vous aviez peur que je vienne ? Je..”

Un rire nerveux traversa quitta la gorge serrée de Delfyn sans qu’elle ne puisse réellement le contrôler.

“Je viens à peine de redevenir moi-même Medea, et vous croyez que j’ai déjà envie de m’aventurer de nouveau là-bas ? Écoute, ça me touche énormément que vous souhaitiez découvrir ce qu’il se passe là bas, bien que je sache qu’au fond ce soit juste dans l’espoir de trouver un morceau de cristal que Miiko vous y envoie.
_ Tu sais que nous voulions simplement te protéger.
_ J’estime avoir le droit de savoir que vous comptez retourner sur Dynn. D’autant plus que je pourrais détenir des informations importantes pour vous aider sans en venir au point de m’incruster dans la mission. Alors merci de m’avoir prévenu malgré tout..”

Comme la lorialet s’y attendait, la nouvelle ne fut pas facile à entendre. L’agacement de Delfyn commençait à s’apaiser, Medea n’avait fait que son travail et prenait le risque d’avoir des remontrances en lui en parlant. La colère de la dynnienne était tout à fait justifiée mais elle avait conscience qu’ils avaient simplement maladroitement voulu la protéger. De plus, l'Étincelante avait raison, quelque chose se répandait dans la forêt comme une infection, si quelqu’un devait aller sur les lieux et s’en charger, elle ne voyait personne d’autre qu’Andromedea. La lorialet était moins sensible que les autres aux illusions qui flottaient dans les lieux. L’enfant de la lune regarda son amie avec attention et posa délicatement sa main pâle sur l’épaule de la fée pour la rassurer, Dynn renaîtrait bientôt de ses cendres.

“Ne t’en fais pas Delfyn, je pars avec une équipe de choc. Miiko m’a laissé lui emprunter Nevra, Valarian et Karenn, assura la lorialet avec un sourire, on va en profiter pour remettre de l’ordre dans la forêt. La nature pourra reprendre ses droits une fois qu’on aura trouvé le problème.”

Delfyn serra doucement la main de son amie, la remerciant d’un sourire. Il n’y avait rien qu’elle désirait plus que sa forêt retrouvant sa beauté d’antan. La fée connaissait l’esprit d’analyse de Medea, elle avait choisi un groupe réduit et discret, ils ne devraient pas être trop en danger mais elle était tout de même inquiète pour eux. Un frisson la traversa en repensant à l’état de la forêt la dernière fois. Quelque chose de mauvais grandissait entre les arbres, une chose qui avait été en capacité de décimer toutes les fées et qui n’aurait aucune pitié de ses amis.

“Surtout soyez prudents et.. Merci pour ce que vous allez faire, rien ne vous oblige à déblayer les lieux.
_ J’y tiens, répondit avec aplomb Medea, si ma ville natale était dans un état similaire, j’apprécierais que quelqu’un lui rende sa véritable essence. Et puis, il faudra bien que tu me fasse visiter un jour, donc autant remettre Dynn en forme.”

Les deux amies échangèrent un rire suite à la remarque plus légère de la lorialet. Elles restèrent discuter encore un peu dans la fraîcheur de la nuit avant que le sommeil les appelle ; une longue mission attendait Andromedea le lendemain.

Après une courte nuit de sommeil, Delfyn était venue les accompagner jusqu’à la plage, cherchant dans ses souvenirs quelques informations importantes dont pourraient avoir besoin les gardiens. La fée les prit dans ses bras un par un, leur demandant une dernière fois d’être prudent, avant de s’arrêter devant Valarian. L’obsidien était sûrement l’un des seuls avec qui Delfyn n’avait pas l’habitude d’être tactile.

“Ô doyen de la garde, fais attention à toi et aux idiots qui t’accompagnent à Dynn.”

L’homme lui répondit d’un rire, posant sa main sur le crâne de la jeune femme pour en ébouriffer les cheveux affectueusement.

“Tu sais bien que tu n’as pas à t’en faire pour moi. Toi en revanche…”

Un rictus amusé sur les lèvres, la dynnienne leva les yeux au ciel. Nevra appela à ce moment-là son équipe et le bateau ne tarda pas à lever l’ancre. Andromedea adressa un dernier signe de la main à Delfyn avant de rejoindre les autres.

꧁꧂

L’embarcation venait de prendre la mer, Valarian était positionné à la barre, c’était lui qui s’était occupé de la navigation une bonne partie du trajet la dernière fois, il connaissait parfaitement le chemin. Nevra et Karenn se chamaillaient déjà. La présence de sa petite sœur sur cette mission était loin d’enchanter le brun, mais il avait vite compris qu’il n’avait pas son mot à dire là-dessus: Medea était la cheffe de cette mission.

“Nevra, laisse la respirer un peu, elle est tout à fait apte à effectuer une mission comme celle-ci, intervint la lorialet
_ Merci Medea ! C’est que je m’époumone à lui dire, mais monsieur est trop têtu.
_ Tu l’es tout autant que moi Karenn, se défendit le chef de l’ombre.
_ Je sais, c’est de toi que je tiens ça.”

Sur ces sages paroles, la jeune vampire tira la langue à son frère et se faufila hors de la conversation, profitant de l’intervention d’Andromedea pour décamper. Nevra la regarda filer avant de soupirer tandis que la lorialet gardait un sourire attendri sur la plus jeune.

“C’est une mauvaise idée Medea, je te l’avais dit.
_ Il serait temps que tu arrêtes de la surprotéger. Je sais que c’est sa première grosse mission mais je ne l’aurai jamais choisi si je ne la pensais pas capable, d’autant plus avec toi. ”

Le vampire leva son œil au ciel de mécontentement, soupira mais ne répondit pas avant de se tourner vers la rambarde en bois. La présence de sa sœur aurait au moins l’avantage de le rendre d’autant plus vigilant. Il voulait juste protéger sa famille et Medea comprenait tout à fait son comportement, elle aurait fait la même chose si son frère avait été à la place de Karenn, malheureusement elle n’aura probablement jamais le plaisir de revoir Orion. Nevra hocha la tête, le regard toujours posé sur sa cadette. Il connaissait assez bien la lorialet pour être certain qu’elle ne mettrait pas en danger la commère d’Eel: Medea adorait Karenn et avait toujours veillé à ce qu’elle soit en sécurité en mission. Ce n’est pas pour rien que le vampire lui avait confié les entraînements de la petite furie quand il ne pouvait pas s’en charger.

“ Je vais essayer Medea, mais je pense que tu sous-estimes le danger.
_ Lequel de nous deux a mis les pieds là-bas pour récupérer Fyfy ?  Si sa vie avait été menacée, je l’aurais probablement vu bien avant notre départ.”

Cette remarque eut le don de clouer la bouche de l’Ombre, il oubliait facilement ce détail mais les dons de Medea avaient plusieurs fois prouvé leur fiabilité.

“On ignore exactement comment tes pouvoirs se déclenchent Medi..
_ On suppose, avec Ezarel, que cela dépend de ma proximité avec la victime ou un de ses proches. Doutes-tu de ton affection pour ta sœur ou bien tu m’as menti et je ne suis pas la femme de ta vie ?”

La moue presque déçue et la provocation de la lorialet arrachèrent un sourire au casanova en chef. S’ils avaient vu juste, et Nevra ne doutait pas des méthodes des deux alchimistes, l'argument de Medea tenait la route mais il avait tout de même envie de lui prouver qu’elle n’était pas infaillible.

“Oui bon, elle va peut-être pas mourir mais elle pourrait être en danger, pointa le vampire. Elle pourrait se briser une jambe.
_ J’aimerais bien voir ça tiens vu le nombre de fois où tu m’as laissé m’entraîner avec elle sans avoir peur que JE me casse une jambe” rétorqua la jeune femme avec un rire.

Le vampire s’apprêta à contre-argumenter mais l'Étincelante avait le don de lever son inquiétude petit à petit. Il avait de plus en plus de mal à lui tenir tête, de toute manière elle avait bien l'intention de lui lâcher son dernier argument.

“Je crois en ses capacités et elle correspond tout à fait au profil que je voulais pour cette mission. C’est plutôt toi que j’hésitais à prendre avec nous mais on parle probablement d’un morceau de cristal, je préfère que tu sois là. Karenn est une bonne gardienne en devenir, elle n’est pas aussi insouciante que tu le penses et c’est un bon moyen de s’assurer que sa première expérience de ce type se passe bien.”

Nevra capitula et s’adoucit, la lorialet n’étant pas du genre à complimenter à la légère, si sa sœur recevait ce genre d’éloge, c’est qu’elle en était digne.  Le vampire se tourna vers la jeune femme dont les coudes avaient rejoint la rambarde, juste  à côté de lui. Son fameux sourire de séducteur réapparu sur son visage et Medea leva les yeux au ciel en riant avant de gentiment le pousser avec son bras.

“Finalement tu n’as pas pu te passer de moi donc ? Demanda-t-il avec un rire avant de poursuivre, je correspond au profil recherché ?
_ Je t’ai choisi toi et pas un autre parce que tu as quelque chose que les autres n’ont pas, répondit-elle en entrant dans son jeu.
_ Un charme incroyable ?
_ Oui, mais surtout une ouïe extrêmement fine, conclut finalement l'Étincelante. J’ai besoin d’une équipe avec des membres immunisés aux illusions ou dont les sens sont surdéveloppés pour qu’ils puissent facilement se raccrocher à la réalité.
_ D’où ma présence ET celle de Karenn.
_ Bingo, le félicita-t-elle en riant. Maintenant que t’es de meilleure humeur, je file aider Valarian !
_ Tu apprends beaucoup trop vite.” souffla le vampire qui regardait la chevelure d’argent se balancer dans le dos de Medea qui venait de s’extraire de leur petite entrevue..

Chapitre 10 : Lui rendre son éclat

    La côte de Jade était en vue après deux jours de navigation. Valarian avait appris à la jeune vampire à manier leur navire, et c’était sous sa supervision qu’elle guidait le bateau jusqu’au morceau de terre que l’on devinait à l’horizon. Étonnement c’était une élève sérieuse et appliquée, l’obsidien ne savait si c’était dû à la présence du vampire ou sa personnalité habituelle. Après tout, Medea n’avait jamais vraiment parlé des entraînements avec Karenn hormis pour dire que c’était une vraie teigne au combat. Le doyen de l’équipage reprit cependant les rênes lorsqu’ils se rapprochèrent de la plage afin de pouvoir jeter l’ancre sans risque. L’adolescente à la chevelure bicolore fut la première à sauter de leur transport en s’étirant bruyamment, heureuse de retrouver la terre ferme.

“Quel enfer ! Je ne comprendrais jamais pourquoi Chrome aime ça, se plaignit l’adolescente.
_ Vois le côté positif, quand vous partirez tous les deux tu n’auras pas besoin de barrer.”

Les yeux rieurs de Medea et son clin d'œil dessina un sourire sur le visage peu motivé de la vampirette. Les trois autres gardiens mirent pied à terre à leur tour, Valarian le dernier, après s’être assuré que le bateau était bien attaché.

“On peut y aller.”

Andromedea opina avant de se diriger vers leur destination. Elle prit la tête, suivie de sa protégée, tandis que Nevra et Valarian assuraient leurs arrières. L’atmosphère pesante leur tomba immédiatement dessus lorsqu’ils passèrent la limite des premiers cyprès dorés composant la forêt.

“J’ai l’impression que c’est pire que la dernière fois Medea, s’inquiéta l’obsidien.
_ C’est ce que je me disais. Restons prudents, nous n’allons pas tarder à entrer dans le voile. Nevra, Karenn, faites confiance à vos oreilles et votre odorat plutôt qu’à vos yeux.”

Nevra rejoignit la tête du groupe, au côté de la lorialet, sous les plaintes de sa sœur qui traînait des pieds pour rejoindre Valarian. Karenn voulait être traitée comme un membre lambda, l’obsidien tenta de la calmer un peu mais la plus jeune se mura dans le silence après avoir observé Andromedea. En effet, cette dernière avait besoin de silence pour se concentrer afin de sonder les alentours et décrypter les illusions qui pourraient brouiller leurs esprits. Les réactions de la jeune fille pouvaient être une distraction. Vu le regard désapprobateur que lui avait lancé son frère juste avant, elle avait eu raison de se taire. Nevra usait de son ouïe aiguisée pour repérer le moindre mouvement, le moindre son pour assurer la sécurité du groupe. L’adolescente décida alors de suivre l’exemple même si elle aurait préféré jouer les dures. La jeune fille à la chevelure bicolore essayait toujours de ne pas trop s’attacher à la lorialet mais plus elles échangeaient, plus Karenn réalisait que sa cheffe de mission avait réellement un petit faible pour son sale caractère. Medea l’avait dit elle-même : elle tenait à ce que Karenn puisse prouver qu’elle était une membre autonome de la garde et c’était bien une des seules à tenir tête à Nevra sur ce point. Être traitée comme une adulte, voilà ce qui avait remonté à bloc la motivation de la jeune vampire et le respect qu’elle portait pour l’enfant de la lune. Elle avait bien l’intention de prouver que Medea avait raison de croire en elle.

Alors qu’ils s’enfonçaient entre les arbres, l’aura devint de plus en plus malfaisante. Le groupe n’avait qu’à suivre l’étrange émanation de noirceur qu’ils ressentaient jusque dans leurs os. Andromedea peinait à lever l’illusion et elle était la seule à pouvoir décrire ce qu’elle voyait. Hormis les arbres à l’allure repoussante, rien aux alentours ne ressemblait de près ou de loin à un morceau de cristal. Concentrée sur ses sens, Karenn manqua de trébucher dans l’étendue d’eau qui traversait la forêt. Elle fut rattrapée de justesse par Valarian et la jeune vampire adressa un sourire désolé à son frère et Medea qui s’étaient retournés. Le regard sévère de Nevra lui coupa l’envie de faire une plaisanterie, l’adolescente se redressa en époussetant ses épaules avant de froncer les sourcils l’instant d’après. Au fond du vert poisseux de l’étang semblait briller quelque chose. Karenn s’arrêta pour s’accroupir au bord de l’eau, ses yeux se plissant pour tenter de mieux voir à travers la mousse verdâtre et visqueuse. L’odeur cadavérique qui s’en dégageait pourrait lui donner des haut-le-cœur. Les trois autres gardiens avaient continué d’avancer mais la vampire les interpella, toujours intriguée par cette forme dans les profondeurs qu’elle peinait à distinguer dans la mélasse d’eau, de feuilles et, probablement, des restes des malheureux dynniens.

“Je crois qu’il y a quelque chose dans l’eau.”

Le trio s’arrêta immédiatement, tournant les talons pour rejoindre Karenn qui était toujours accroupie quelques mètres derrière. Nevra et Andromedea s’abaissèrent également à sa hauteur pour observer les eaux. Le chef de l’Ombre grimaça devant l’étendue fétide, mais son œil averti repéra à son tour une chose scintillante dans le fond.

“Je crains que notre cristal ne soit au fond de l’étang, et à en croire son état on ne ressortira pas indemne en plongeant dedans, commença-t-il avant que sa sœur ne le coupe.
_ Je peux le faire.
_ C’est non Karenn.”

La plus jeune du groupe se renfrogna à la réponse catégorique de son frère et Andromedea poussa un soupir avant d’intervenir d’une voix calme, une main douce sur l’épaule de la vampire.

“Dans ce cas, je propose que tu sautes Nevra, puisque tu considères qu’elle n’en est pas capable.
_ C’est pas ce que-
_ Tu te défiles ?” le défia-t-elle sans la moindre hésitation.

Le vampire fit rouler son oeil vers le ciel face à la réponse de la lorialet avant de se redresser afin de retirer son écharpe ainsi que son kimono. Il adressa par la même occasion un clin d'œil à sa collègue.

“Ne profite pas trop du spectacle.
_ Je contrôle l’imaginaire, si j’avais envie d’un spectacle, je me débrouillerai pour qu’il n’y ai pas tes déclarations d’amour envers ta personne. La seule chose que je souhaite voir, c’est ton plongeon. Saute donc à l’eau au lieu de jouer au bellâtre.”

Les actes ne suivirent cependant pas les paroles et Medea ne se gêna absolument pas pour le regarder, il lui avait presque demandé de le faire de toute façon. Ce fut au tour de Karenn de rouler des yeux face à la scène. Elle se doutait que ça finirait par arriver mais elle avait longuement espéré y échapper. Avec désespoir, elle se tourna vers le quatrième membre de l’équipe. Valarian était resté en retrait dans l’optique de surveiller les environs de potentiels attaquants, Andromedea n’ayant pas signalé la moindre anomalie autre que l’apparence des arbres.

“Valarian, je t’en supplie, geignit la vampire, sauve moi je vais vomir. Ce ne sera même pas à cause de la puanteur de l’étang.”

L’obsidien du groupe ne put retenir un sourire à la remarque de Karenn. Il avait beau n’être jamais parti en mission avec eux deux en même temps, il avait bien entendu parler de la relation qu'entretenait le duo. Il se demanda d’ailleurs si les rumeurs concernant leur idylle étaient fondées avant de reporter son attention à Karenn. Nevra semblait finalement prêt pour le grand plongeon. Les iris vert pomme de sa sœur ne le quittaient pas, elle était chaque seconde un peu plus rongée par l’anxiété. Personne ne connaissait les effets qu’aurait cette eau sur quiconque y mettrait les pieds. Elle pouvait être tout aussi inoffensive que toxique. Andromedea était prête à toute éventualité, elle avait retiré sa cape pour ne pas perdre de temps en cas d’urgence et vérifié les fioles à sa ceinture.
Sous les yeux attentifs et soucieux de ses compères de voyage, Nevra plongea au cœur de l’étang, poignard à la main afin de pouvoir décrocher le cristal sans difficulté si besoin. Les secondes paraissaient être des minutes durant lesquelles les gardiens retenaient leur souffle. L’eau trouble ne permettaient pas à ceux à la surface de pouvoir observer ce qu’il se passait dans les profondeurs, les ondulations étant le seul indicateur de vie dans l’étendue verdâtre. Karenn, rongée par l'inquiétude grandissante, lançait de vifs regards à l’intention de la lorialet.

“Ça commence à m’inquiéter Medea, pressa la vampire, ça devient long.
_ Patiente encore un peu, il l’a probablement déjà atteint et doit essayer de l’extraire. J’interviendrai si besoin.”

Andromedea adressa un petit sourire rassurant à la vampire qui sentait l’angoisse monter en ne voyant pas son frère revenir à la surface. L’air serein de la lorialet apaisa l’espace d’un instant les peurs de l’adolescente, elle avait presque oublié que la dernière Étincelante ne laisserait certainement pas son casanova favori lui être arraché de la sorte. Le tumulte des flots s’intensifia soudainement, Karenn s’apprêtait à sauter dans la panique, mais la main de Medea la maintint sur place alors que la tête de Nevra apparaissait hors de l’eau. Un sourire vainqueur sur les lèvres, le vampire brandissait le cristal tel un trophée. Sa sœur sauta à son cou une fois qu’il fut hors de l’eau.

“Imbécile me fais plus jamais peur comme ça !”

Le brun utilisa son écharpe pour essuyer ses cheveux ébène, y enroulant ensuite le morceau de cristal par précaution, tandis que la lorialet prélevait un peu d’eau dans deux fioles. Andromedea s’enquit de son état après son passage dans l’étang, son regard trahissant son inquiétude mais le vampire la rassura : il allait bien. Les gardiens pouvaient désormais se concentrer sur la deuxième partie de la mission: s’assurer du retour à la normale de Dynn. Le retrait du cristal semblait déjà faire son effet. Autour d’eux, l’atmosphère était moins pesante, plus respirable : le voile d’illusion entourant la forêt commençait à se dissiper. Avec la disparition des fées, la pierre corrompue avait été le nouveau vecteur de la magie cachant le village. Sentant que la réalité refaisait surface, le regard de la lorialet se posa immédiatement sur Karenn que l’illusion n’avait pas encore quittée. En effet, si Medea voyait les vestiges de Dynn, le reste de l’équipe ne percevait pas encore les décombres des habitations et ce qu’il restait de leurs habitants. L’ouïe des vampires leurs avaient permis de se rattacher aux bruits réels mais ils n’avaient jamais pu lever le voile de l’illusion face à eux. Ils n’avaient jamais vu Dynn avant, leur imaginaire était donc complètement ouvert à toute suggestion et les cyprès dorés à l’entrée de la forêt leur avaient défini tout le paysage. Andromedea se demanda comment Karenn avait pu se rendre compte de la présence du lac mais elle supposa que le nez de l’enfant avait peut-être été un peu trop titillé par l’odeur nauséabonde. Enfin, l’eau n’était clairement pas le pire et la lorialet était bien décidée à éviter les derniers instants de Dynn à la plus jeune. Même si elle la considérait comme un membre à part entière de cette expédition, ce n’était encore qu’une enfant et elle s’interdisait d’infliger une vision pareille de nouveau à un jeune.

“On devrait commencer à aller monter le camp pour la nuit, Karenn viens avec moi. Nevra et Valarian seront plus utiles que nous pour remettre de l’ordre ici.”

La vampire n’eut pas le temps de rétorquer qu’elle souhaitait participer à l’effort, Andromedea lui avait pris le bras et l’entraînait dans la direction opposée. La confusion passée, Nevra fit le lien avec la réaction de l’enfant de la lune lorsque la brume qui lui camouflait la vérité s’évapora. L’horreur du cœur de Dynn était désormais visible aux yeux du chef de l'Ombre et de l’obsidien.  Malgré l’atrocité du paysage, ils n’avaient d’autre choix que de se mettre tout de suite à la tâche : ils devaient faire un maximum avant que le soleil ne se couche. Les corps furent déplacés et enterrés avec respect dans un coin calme éloigné des restes du village. Ils étaient la priorité pour la fin de cette première journée. Ils pourraient ensuite revenir le lendemain sans crainte de choquer la plus jeune membre du groupe.


Nevra commençait à fatiguer, étrangement il avait les membres lourds et de petits fourmillements prenaient possession de ses doigts pendant quelques instants. Cela faisait sûrement plusieurs heures qu’ils travaillaient avec Valarian et les deux collègues voyaient enfin le bout. Le vampire se sentait essoufflé, chaque pas lui coûtait une énergie colossale, sa gorge le brûlait. Tout en déposant le dernier cadavre, le brun grimaça ce qui n’échappa pas au regard de Valarian.

“Quelque chose de va pas Nevra ?
_ Je suis sûrement fatigué, ça ira mieux demain avec un peu de repos.”

L’obsidien acquiesça mais garda un regard attentif sur son supérieur hiérarchique. Il leur fallut encore une vingtaine de minutes avant d’enfin terminer leur tâche pour la journée. Arrivés sur le camp monté quelques heures plus tôt par les membres féminines du groupe, Valarian parla immédiatement de son inquiétude vis-à-vis de Nevra à la lorialet. Andromedea le trouva effectivement plus pâle que d’ordinaire.

“Viens avec moi Nevra.
_ Je vais bien Medea, se défendit immédiatement l’interpellé, j’ai besoin de dormir c’est tout.
_ Tiens donc, c’est bien la première fois que tu refuses ma compagnie parce que tu préfères aller dormir.”

Le chef de l’Ombre esquiva le regard de la jeune femme qui posa sa main sur son avant bras avec un regard anxieux.

“Montre l’exemple à ta sœur et sois docile.
_ Si j’avais su que tu me le dirais sur ce ton, j’aurais accepté bien avant.”

Le vampire lui lança une oeillade rieuse avant de se reculer en la voyant lever les yeux au ciel. Elle ne rigolait pas, elle s’inquiétait pour lui. Alors il s’avoua vaincu et suivit Andromedea dans la tente abritant le trousseau médical de la jeune femme. Elle examina rapidement le brun qui avait ce sourire idiot et charmeur sur les lèvres.

“Une seule remarque et c’est moi qui vais te faire dormir.
_ Je n’attends que ça depuis des années, que tu m’épuises.
_ Nev ! Me force pas à te piquer pour que tu la boucles.”

Nevra leva les mains, feignant l’innocence. Le vampire semblait aussi intenable qu’il l’était habituellement, mais sa fatigue physique se faisait ressentir. La lorialet fouilla dans la malle qu’elle avait préparée avec l’aide d’Ewelein en vue de cette mission. Sa baignade dans l’étang était sûrement la cause de son état, et elle lui confia une potion de récupération à prendre avant de dormir pour profiter d’un sommeil plus réparateur qu’il n’aurait dû l’être.

“Tu peux toujours partager mon lit pour t’assurer que je me repose bien, proposa le brun.
_ Je ne doute pas que Valarian saura le faire aussi bien que moi.”

Le vampire haussa les épaules devant cette nouvelle tentative conclue en échec, grimaçant à l’idée de partager son lit avec l’obsidien, mais il ne manqua pas de remarquer le sourire amusé de la jeune femme.

“Dans ce cas, bonne nuit Medea.
_ Nevra, attends.”

L’enfant de la lune s’avança à sa hauteur et le vampire se stoppa dans sa route vers l’extérieur. S’il avait verbalement tenté plusieurs fois, il évitait son contact et maintenait une certaine distance entre eux. Son œil semblait également un peu plus vif qu’habituellement. La question lui brûlait les lèvres mais Nevra secoua la tête en lui souriant, non sa soif ne prenait pas le dessus. Andromedea regarda son ami poser ses mains sur ses épaules pour la rassurer et soupira avant de reprendre la parole d’un ton assuré qui se voulait sonner comme un ordre.

“Ne fais pas l’endurci et viens me chercher s’il y a quoi que ce soit d’accord ? On ne sait pas ce qu’il y avait dans cette eau et je ne veux pas que tu prennes des risques supplémentaires.
_ Tout pour vos beaux yeux Medea.”

Le beau brun ponctua ses paroles d’un baiser sur le dos de la main de la lorialet. Il la garda un instant avant de la lui rendre, prévoyant de quitter définitivement la tente pour rejoindre la sienne. Medea le retint une dernière fois, par précaution, elle préférait qu’il prenne avec lui une des poches de sang synthétique en supplément de celles prévues. Non sans avoir bataillé un moment, Nevra quitta les lieux avec ladite poche et sa présence fut troquée par celle de Karenn qui entra à son tour sous la toile pour aller se coucher. Andromedea la rassura et veilla à ce qu’elle s’endorme et sortit profiter d’une nouvelle nuit sous la lumière lunaire avant de prendre un peu de repos. Elle n’arriverait pas à fermer les yeux de suite de toute manière.

꧁꧂

Le groupe s’était réveillé au lever du jour afin de terminer leur mission au plus tôt et entamer le retour vers la cité d'Eel le soir-même. Les garçons proposèrent de démonter le campement tandis que les demoiselles commençaient à déblayer les restes d'habitations afin que la nature reparte sur de bonnes bases. Malgré la potion, Nevra se sentit aussi éreinté que la veille à mesure que la journée passait. Son corps était douloureux, et non pas seulement par les tâches physiques. À quatre le travail s’avéra plus rapide qu’ils ne l’auraient cru, et ce fut avec soulagement que Nevra monta à bord du bateau en fin d’après midi. Sa tête commençait à bourdonner, ses bras parcourus de fourmillements et les images renvoyées par sa pupille étaient parfois floues. Le vampire avait voulu tenir bon durant la journée afin de ne pas ralentir le déroulement de leur mission, mais il était désormais temps qu’il en informe la lorialet.

“Tu vas me sermonner parce que je ne t’ai pas prévenu plus tôt, mais je pense vraiment que l’eau m’a empoisonné.
_ Vu la tête que tu as, je garde les sermons pour plus tard, va dans la cabine j’arrive.”

La jeune femme confirma le départ du navire à Valarian qui était posté à la barre en attendant les consignes avec Karenn qui terminait sa formation, puis s’empressa de rejoindre Nevra. Le vampire était déjà allongé sur le lit, les yeux clos, sa respiration rapide et saccadée soulevait dans un rythme incohérent sa poitrine. Son expiration freinante inquiéta un peu plus la lorialet qui ne prit presque pas le temps de fermer la porte avant de revenir au vampire.

“Nevra bon sang pourquoi tu ne m’as pas prévenu plus tôt.
_ Je croyais que les sermons étaient prévus pour plus tard.
_ Je pensais que tu étais encore capable de respirer !”

Malgré son état, un sourire amusé accompagnait les mots du brun qu’Andromedea examinait déjà. Les symptômes étaient certes inquiétants, mais la vitesse à laquelle le poison se répandait rassura la lorialet. Il souffrait depuis déjà plus d’un jour et, même si son état était préoccupant, il n’était pas encore critique. Medea pouvait le soulager un minimum et ralentir la propagation du poison en attendant la préparation d’une potion qui le chasserait de son organisme. Elle tendit une nouvelle mixture à Nevra qui la prit en la regardant d’un air faussement suspicieux.

“J’ose espérer que ce n’est pas un philtre d’amour.
_ Je sais très bien que je n’ai pas besoin de ça. Et honnêtement, je pense que je préfèrerais de loin profiter des effets avec un Nevra en pleine forme.”

Andromedea adressa un clin d'œil au vampire qui lui répondit par son plus beau sourire et elle sortit les ingrédients nécessaires à la potion de soin et l’antidote. La préparation prendrait un peu de temps, mais Nevra serait sur pied en arrivant au QG. Par chance, elle avait prélevé assez d’eau pour faire un rapport complet à Miiko. Elle avait donc de quoi créer l’antidote mais elle avait besoin d’un peu plus de temps. Le vampire avala d’une traite la fiole que lui avait tendu la lorialet, une grimace ayant bien vite remplacé son irrésistible sourire.

“En effet, c’est horrible.
_ C’est un élixir d'Aceso. Pour vulgariser ce qu’il fait, il va ralentir l'absorption du poison pour que j’ai le temps de créer l’antidote. Quand as-tu pris ta dernière ration ?
_ J’ai mangé ce matin un peu.
_ C’est pas de ce genre de ration que je parle.” le coupa l’infirmière. “Si tu penses que je n’ai pas vu les signes, tu te trompes. Hier soir tu es parti avec la poche mais est-ce que tu l’as bu ?”

Nevra se ferma immédiatement, il ne voulait pas en parler et il n’aimait pas la tournure que prenait leur conversation. Il était capable de contenir cet aspect de sa nature, il se sentit presque vexé de la remarque de la lorialet mais ses yeux d’opales le fixaient non avec jugement mais avec douceur. Elle ne lui demandait pas pour le juger mais pour adapter la prise de l’antidote.

“Non.
_ Zut. J’aurais dû m’en douter : j’ai dû presque me battre pour que tu la prennes hier. Je n’avais pas envie de t’embêter avec ça, tu es grand  et  tu te gères, mais j’aurais dû suivre le protocole et te le demander avant.”

Les mains de la lorialet saisirent avec une vivacité et une précision déconcertante une des poches et une seringue. Elle n’était pas inquiète pour elle, pas encore, mais il fallait agir vite. Elle ne tiendrait pas une minute face à un vampire assoiffé. Déconcerté par sa réaction et étonnement très irrité, Nevra reprit la parole.

“Attends Medea, je me sens bien ! Vraiment.
_ L’elixir puise dans tes ressources, je n’aime pas l’utiliser mais comme je ne connais pas le venin c’est le meilleur moyen d’éviter que ton organisme le consomme. Mais c’est une potion, elle ne fait pas de distinction entre les nutriments, les médicaments et les poisons. Pour la plupart des faeries, ça provoque une grande fatigue, sensation de faim… Pour les vampires c’est une autre histoire.”

Les explications d’Andromedea qui remplissait la seringue de sang synthétique finirent d’assembler les morceaux du puzzle dans l’esprit du vampire. En effet sa gorge était de plus en plus enflammée, les battements réguliers du cœur de la lorialet résonner dans ses oreilles et il sentait sa pupille se rétracter. S’il avait encore tout son esprit, il savait que ce ne serait pas forcément pour longtemps.

“Va chercher Karenn.
_ Non. Elle sera dévastée de te voir dans cet état. Je reste ici.
_ Je ne me pardonnerais jamais de toucher à un seul des fils d’argent de ta chevelure.
_ J’suis pourtant sûre que tu m’as promis de bien les tenir y a un mois.” taquina la lorialet avant de planter l’aiguille dans l’avant-bras afin de lui injecter le contenu de la seringue en intraveineuse pour gagner un peu de temps.

Le vampire grogna face à l’entêtement de la jeune femme et soupira en se laissant faire. Il regrettait un peu d’être dans cette posture alors qu’elle lui offrait la chance inestimable d’être enfermé avec elle. Il sourit, s’il avait le temps de penser à cela, il devait être encore bien loin de la perte de contrôle. Son œil se rouvrit cependant brutalement lorsqu’une odeur savoureuse de sucre et de fer atteint ses narines. Frénétiquement la pupille chercha la source de la délicieuse fragrance qui était devenue maîtresse de sa personne. La chevelure d’argent de Medea était rassemblée sur son épaule droite, dévoilant tout le côté gauche de sa gorge et le parfum enivrant du sang pulsant sous sa peau d’albâtre, forçant l’iris violine à s’y fixer. Un frisson parcourut le corps tout entier du vampire, un savant mélange d’excitation, d’appétit avec un soupçon de peur à cette idée. Il tentait encore difficilement d’y résister tandis que l’enfant de la lune veillait à verrouiller la porte pour éviter que les autres ne débarquent maintenant.

“Sors d’ici Medea.
_ Profite du peu de lucidité que tu as. Je te perfuserais avec le reste de la poche après. Je ne veux pas prendre le risque de le faire avant, si tu te débats ce sera un vrai carnage.”

Ses canines le lançaient, pressant malgré lui contre sa lèvre inférieure et il essaya de détourner son attention d’elle. Il s’était redressé et se tenait assis sur le matelas, le regard à l’opposé de l’infirmière qui prélevait le contenant d’une autre fiole, tandis que sa propre respiration redevenait frénétique. Elle soupira en se rapprochant de lui, posant sa main sur l’épaule du chef de l’Ombre sans la moindre crainte, elle lui faisait confiance.

“Cesse de t’entêter Nevra. Plus tu essaies de reculer, plus on prend de risque pour l’ensemble de l’équipe.
_ Si je ne m'arrête pas c’est fini. Je refuse de te faire le moindre mal.
_ Tout de suite les grands mots, on verra ça si tu ne t’arrêtes pas.” conclut-elle d’une voix ferme alors qu’il s’apprêtait à riposter.

Malheureusement il ne put même pas essayer, l’odeur était trop forte, son énergie trop faible. Il puisait dans ses dernières ressources depuis trop longtemps. Son oeil se révulsa, n’affichant plus que le blanc de l’orbe, et il se jeta sur elle. Medea se félicita de ne pas s’être assise à côté de lui, elle se serait blessée dans la chute et serait probablement inconsciente. Elle tenait dans sa main une deuxième seringue cette fois-ci contenant un tranquillisant. S’il devenait trop dangereux, elle n’hésiterait pas une seule seconde à la lui injecter mais elle lui voulait lui laisser le temps de reprendre le dessus lui-même. La douleur de son dos cognant sur le sol lui coupa un instant la respiration mais celle provoquée par les crocs acérés du vampire s’enfonçant brutalement dans la chair de son cou la força à étouffer un cri dans sa gorge. Un soubresaut s’empara d’elle alors qu’il maintenait fermement son épaule contre le sol pour laisser son cou entièrement exposé. Andromedea serra ses doigts sur le tissu de la manche du vampire avant que le second effet de la morsure ne se propage dans son corps : un agréable frémissement la traversa toute entière, embrasant tout sur son passage. Le moindre recoin de son épiderme frémit de plaisir, les vagues partant de son cou et la balayant jusqu’au bout de ses doigts. Elle avait la sensation d’avoir déjà vécu ces deux sensations : la première une vive douleur, la seconde un profond sentiment de détente. Pourtant elle n’avait pas le moindre souvenir d’une précédente morsure. Medea savait qu’elle ne garderait pas longtemps conscience si elle ne reprenait pas immédiatement le contrôle sur les sensations qui la traversait. Elle devait impérativement redevenir maîtresse de son corps. Elle profita de ce moment de lucidité pour relâcher le kimono et écraser sa main sur le sol, provoquant une vive douleur dans sa main qui remonta le long de son bras. Ce simple geste ramena la lorialet à la réalité qui ouvrit les yeux et se concentra sur les souvenirs de son quotidien au sein de l’Absynthe, il fallait qu’elle reste concentrée sur autre chose que Nevra. Après un temps, elle le repoussa une première fois lasse, elle était loin d’être en danger mais il devait déjà avoir eu bien assez pour reprendre le contrôle. Une deuxième fois elle le repoussa avec un peu plus de force mais le râle de mécontentement du brun lui fit froncer les sourcils.

“Sois pas grincheux en plus ! Relâche-moi !”

Nevra entendit vaguement la plainte de la jeune femme et après qu’elle se soit débattue une nouvelle fois, le menaçant cette fois-ci, il retrouva la pleine conscience de son être. Sa pupille se stabilisa de nouveau et il quitta le cou de la gardienne aussi vite qu’il le put sans la blesser. Il se redressa précipitamment, s’éloigna en se confondant en excuses refusant de poser son regard sur elle de nouveau. Il venait de la mordre avec une violence qu’il s’était toujours interdit. Le vampire ne voulait pas de ce geste entre eux, encore moins dans ces circonstances. Medea se redressa doucement sur ses coudes, la douleur de son dos la lançant de nouveau, lui arrachant une petite plainte. Le brun se tourna vers elle pour l’aider mais il se rendit compte que son état n’était pas beaucoup mieux que plus tôt, il était extrêmement fatigué rien qu’en se relevant ou en se baissant. Une fois debout, Medea jeta le contenu de la seringue puis cette dernière avant de supporter le poids du vampire jusqu’à ce qui serait son lit pour la totalité du voyage.

“Je vais changer de technique, je vais regarder mes notes. Je dois avoir un onguent ou un rituel qui devrait permettre à ton corps de supporter le poison le temps de la réalisation de l’antidote. Ce ne sera pas forcément très long mais je dois trouver le bon dosage.”

Elle posa ses yeux sur lui avec compassion, ce n’était pas la fatigue seulement qui marquait le visage de son ami, c’était la colère, le dégoût et la culpabilité. La lorialet regarda un instant sa paillasse de fortune avant de reporter son attention sur lui, reprenant d’une voix confiante mais douce la parole.

“Ça ne se reproduira pas. Je te le promets.
_ Je te fais confiance mon étoile.” répondit le vampire qui s’effondra sur le matelas fin.

Karenn tambourina à la porte à ce moment-là. L’odeur de sang l’avait immédiatement alertée. Si au début elle avait cru que c’était juste encore un jeu de mauvais goût entre la lorialet et le vampire, l’adolescente se rappela bien vite ce que lui avait dit son frère : jamais il ne mordrait Andromedea. C’était son amie et même s’il rêvait de finir ne serait-ce qu’une nuit au creux de ses bras, il n’avait aucunement l’intention de la lier à lui de la sorte. Karenn avait conscience des effets secondaires de la morsure : la douleur en premier, la diffusion d'endorphine juste après afin que la victime s’abandonne complètement. Nevra avait été très clair sur ce point et la jeune vampire avait donc compris qu’elle ne mordrait rien d’autre que ses proies vu son âge, soit pas grand chose vu qu’ils se nourrissaient de sang de synthèse. Karenn avait également saisi la symbolique derrière ce comportement de la part de son frère, il se moquait bien de rendre dépendante n’importe qu’elle autre mais pour Medea c’était une autre histoire. Il n’aurait jamais attaqué la lorialet dans son état normal. Ne recevant pas de réponse, elle claque le poing plus fort contre le bois de la cabine, la voix tremblante d'inquiétude.

“Medea ! Tout va bien ? Tu es blessée ?
_ Tout va bien Karenn ! Ne t’inquiète pas, il est juste fatigué, répondit la lorialet en souriant, nettoyant la plaie et la protégeant d’un pansement avant d’installer son ami qui fixait le plafond, rongé par la culpabilité.  Je me mets sur l’antidote, je te laisse venir dans une heure, d’accord ?
_ Bien.. A tout à l’heure. Et déverrouille la porte si tout va bien !”

Medea rassura la plus jeune et s'exécuta après avoir vérifié la stabilité de l’état de Nevra. Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme en voyant que sa respiration était un peu moins sifflante et que son teint, bien que toujours aussi pâle, retrouvait un peu de couleur. Elle remit en place une de ses mèches d’ébènes avec douceur. Il était en colère contre lui-même, elle comprenait tout à fait ce qu’il ressentait.

“Ne fais pas cette tête Nev, je ne t’en veux pas.
_ Moi oui, je m’en veux. Je ne suis pas comme ça.
_ Je sais bien.” assura-t-elle en cherchant à le faire la regarder de nouveau.

Il avait encore assez d’énergie pour bouder alors qu’il était à peine capable de tenir debout et sa respiration sifflait toujours. Medea s’était retenue de lui faire une blague au sujet de tous ses petits casse-croûte dans les rangs de l’absynthe, il n’était pas d’humeur à rigoler. Avec douceur, elle déposa un baiser sur sa tempe avant de soupirer en ébouriffant un peu sa tignasse, s’éloignant de lui. Il la remercia dans un souffle et s’endormit juste après, laissant le champ libre à l’infirmière afin de veiller sur lui et commencer l’élaboration de la potion. Karenn passa peu après, ses yeux se posant sur le pansement ornant la peau de la jeune femme. Son cœur se serra un peu à cette vision mais Medea la rassura immédiatement, elle allait bien et rien de grave ne s’était produit. C’était dû en grande partie au manque d’énergie du vampire et au poison. Elle lui assura également que ça n’était rien de plus qu’une erreur de calcul, la lorialet n’avait pas envie de se battre avec les fantaisies de la plus jeune.

“ Tu aurais dû venir me chercher, il va s’en vouloir Medea.
_ Ça n'aurait fait que retarder le problème Karenn. Je vais bien, ne t’en fais pas. Je l’aurais endormi s’il était devenu hors de contrôle. On n’attaque pas une ancienne membre de l’Absynthe impunément.”

L’adolescente rejoint le chevet de son frère en riant un peu à la réponse de la jeune femme. En observant son visage endormi, Karenn retrouva son calme. Il avait l’air en meilleure santé, il n’avait plus cet air souffrant et, même s’il avait probablement de la fièvre, Medea était déjà en train de s’affairer sur l’antidote. La jeune fille était reconnaissante qu’elle la laisse venir alors qu’elle travaillait et qu’elle avait probablement besoin de calme.

“Merci.
_ De quoi donc ? interrogea la cheffe de mission, toujours concentrée sur le tube qu’elle observait. C’est ton frère Karenn, il faudrait être suicidaire pour tenter de te mettre dehors dans un moment pareil.
_ Ezarel ou Eweleïn m'auraient foutu à la porte.
_ Ils ont leur façon de faire, j’ai la mienne. J’ai plus de facilité qu’eux pour me couper des bruits environnants, lui répondit-elle avec un clin d'œil. Penses juste à soulager un peu Valarian à la barre, je ne vais pas pouvoir m’en occuper.
_ Bien sûr, je voulais juste m’assurer qu’il aille bien.
_ Je n’en doutais pas Karenn. Il devrait y en avoir pour quelques heures pour la réalisation de l’antidote, d’ici maximum deux jours il sera de nouveau en pleine forme.”

L’adolescente à la chevelure bicolore lui fit un sourire et hocha la tête avant de rester encore un petit moment puis de sortir pour remplacer Valarian.

꧁꧂

Entre l’élaboration de la potion et la surveillance du malade, Andromedea ne quittait pas beaucoup la cabine. Elle prenait cependant le temps de voir si tout se passait bien sur le pont. Valarian et Karenn se relayaient sur la direction du bateau ; l’obsidien avait bien fait de lui apprendre à maintenir le cap, cela aidait la cadette de l'équipe à ne pas sombrer dans l’inquiétude. Medea lui avait permis de venir voir son frère dès qu’elle le souhaitait et son état était stable, ils ne pouvaient rien faire de plus qu’attendre.


Après deux longues et éreintantes journées pour chaque membre du groupe, la plage d’Eel était enfin visible au loin. Nevra avait pris son antidote quelques heures auparavant et commençait à en ressentir les effets. Il avait pu sauter sur ses deux pieds lorsqu’il avait entendu Karenn crier de joie à la vue de leur destination. Un sourire illumina son visage désormais totalement reposé, il se sentait de nouveau capable de tout. Son œil violet croisa la route du miroir et le reflet qu’il y vit lui gonfla le cœur de confiance, il était de nouveau en pleine forme et surtout toujours aussi beau. Il porta son attention à son amie qui devait s’être endormie seulement quelques minutes plus tôt. Andromedea n’avait quasiment pas dormi du voyage, elle l’avait veillé jour et nuit. Un frisson lui traversa l’échine lorsqu’il vit le cou bandé de la jeune femme, il aurait préféré qu’elle ne soit jamais face à cette facette de lui. Avait-elle eu peur au moment où il s’était jeté sur elle ? La simple idée qu’elle puisse l’avoir craint lui serra douloureusement le cœur, jamais il ne lui aurait fait de mal volontairement, il espérait qu’elle en ait conscience. Il se rassura en secouant la tête, si elle avait vu en lui une bête sanguinaire elle ne serait jamais restée seule dans cette cabine. Ou du moins c’est ce dont il voulait se persuader.

“Repose-toi un peu Medea, tu l’as bien mérité. Il doit rester une ou deux heures de navigation alors profites-en.” murmura-t-il à l’attention de l’endormie.

Le vampire embrassa son crâne en la remerciant encore, Andromedea lui avait sauvé la vie. Et il était enfin libre de quitter la cabine dans laquelle il avait été bien trop longtemps enfermé. L’air frais lui fit un bien fou et sa sœur se jetant dans ses bras aussi. Il était heureux de la retrouver et de pouvoir lever l’inquiétude qui avait dû la tourmenter sans relâche. Ils avaient tous hâte de mettre les pieds sur terre de nouveau et de laisser cette histoire derrière eux.

Chapitre 11 : Retour à Eel

     De petits coups secs cognés à la vitre firent ouvrir les yeux à Delfyn. Le soleil se levait à peine et la fée s’interrogeait sur ce qui pouvait bien la réveiller si tôt. Les bruits contre la fenêtre reprenaient et la jeune femme se redressa, le regard encore endormi se posant sur l’extérieur. Un familier au plumage entre marbre et ébène battait des ailes face à la fée dont le “Kiirk” agacé était étouffé par le verre. La dynnienne sauta sur ses deux pieds pour s’en rapprocher lorsqu’elle reconnut le lapy de Valarian.

“Kiel, qu’est-ce que tu fais là ?”

Le bec du familier s'ouvrit et indiquait qu'il lui répondait depuis l’extérieur. Delfyn s’empressa de lui ouvrir, curieuse de savoir la raison de sa présence au QG étant donné que son propriétaire était en mission. Un éclair d’inquiétude traversa son regard et plissa les traits de son visage. Et s’il s’était passé quelque chose de grave ? La fée ferma les yeux un court instant, glissant ses doigts sur sa poitrine dans l’espoir d’en calmer les battements de cœur que l’angoisse avait fait accélérer. Non, c’était impossible. Si c'était le cas, Kiel aurait été envoyé à Miiko et non à elle. En rouvrant les yeux, elle découvrit une note attachée à sa patte gauche, Delfyn la récupéra après avoir offert quelques friandises à l’oiseau qui se lovait sur ses genoux une fois la jeune femme assise sur son lit. Elle déplia le papier qui lui était adressé, lisant attentivement chaque ligne.

Chère Delfyn

“Je te connais assez pour savoir le stress que t’apporte l’idée de cette mission. Je t’écris donc afin de te rassurer : tout se passe pour le mieux.
Nous avons effectivement retrouvé un morceau de cristal ;  Kiel a déposé une autre note à Miiko pour l’en informer.
Nous allons tous bien et repartirons dès demain une fois la forêt dans un meilleur état.
Ne t’inquiète pas pour nous, nous serons de retour très vite.

Valarian.

PS : Pourrais-tu prendre soin de Kiel pour moi le temps que nous rentrions ?
Il t’aime beaucoup, ça lui fera plaisir.”

Un sourire prit place sur les lèvres de la jeune femme en lisant la note. Valarian était toujours aussi prévenant avec elle, et cela la rassurait grandement de savoir que la mission de ses amis se passait bien malgré l’instabilité de la forêt de Dynn. Grâce à leur intervention, la forêt serait très certainement sauvée et retrouverait sa beauté perdue. À en croire la lettre, le groupe repartirai ce soir pour le QG. Selon ses calculs, ils seraient de retour d'ici environ trois jours et cette seule nouvelle suffisait à mettre Delfyn de bonne humeur. Kiel entre ses bras, elle quitta la chambre sous les yeux agacés de Blumm, sa fidèle Braukwin qui dormait au pied du lit. Elle se révélait parfois possessive envers sa propriétaire. Il était vrai que l’oiseau appréciait beaucoup la jeune femme, et réciproquement. Delfyn avait comme un lien particulier avec les familiers, même Amaya se montrait relativement docile avec elle.

Kiel la quitta peu après le petit déjeuner, partant certainement s'amuser au côté d'autres familiers à plumes. La fée s’apprêtait à passer une nouvelle journée interminable. La garde n’était pas la même sans Andromedea et Nevra ; Valkyon étant des plus occupés avec les dernières recrues.

꧁꧂

Sous le regard amusé de Valkyon, Delfyn traînait des pieds le long du chemin traversant le refuge. Le nuage de poussière accompagnant ses pas ne se voyait presque pas sous la faible lueur des premiers rayons du soleil. Il était rare que la fée se plaigne de ses tâches au sein de l’Obsidienne, mais sa garde sur le mur était loin de l’enchanter. De tous les jours de cette semaine longue à mourir, il fallait que cela tombe ce jour. Selon ses calculs, l’équipe envoyée sur Dynn reviendrait dans la journée, et ainsi coincée sur les remparts, elle serait dans l’incapacité d’accueillir ses amis. Il lui restait l’infime espoir que le bateau n’arrive qu’après la tombée de la nuit mais elle y croyait peu. Le soupir qu’elle poussa fut si lourd que Valkyon tourna la tête vers elle tandis qu’il se stoppait devant la vieille porte en bois refermant les étroits escaliers menant au sommet du mur. Croiser le regard ambré de son ami lui arracha un sourire malgré elle.

“Ça ne va pas ?
_ Je suis juste un peu frustrée que notre garde tombe maintenant, mais je suis en bonne compagnie, je vais m’en remettre.”

Valkyon et elle s’étaient peu vu ces derniers jours, le chef de l’obsidienne avait été débordé, et cette garde serait au moins le moyen de passer un peu de temps ensemble. Delfyn avait de la chance d’être à ses côtés ce jour. Pourtant cela n’appartenait pas à un heureux hasard. Le faelien rédigeait lui-même le planning des gardes et il n’était pas rare que les deux amis se retrouvent ensemble. Ce traitement de faveur ne s’appliquait pas qu’à eux ; Valkyon choisissait toujours les binômes avec soin, alliant affinité et efficacité des paires. La porte s’ouvrit en un grincement lorsque le chef des obsidiens tira la poignée et Delfyn s’engouffra la première dans l’escalier, grimpant les marches jusqu’à rejoindre le sommet. Les deux obsidiens de la garde de nuit attendaient déjà leur relève et leur laissèrent la place après de brèves salutations.

“Je te confie la porte, je pars faire une ronde à l’est.
_ Ça marche, à tout à l’heure.”

Delfyn lui adressa un signe de main et l’obisidien tourna les talons pour faire un tour de surveillance le long des remparts. Kiel les avait rejoint et s’était posé sur les remparts, profitant de la douce chaleur des rayons du soleil. La fée s’étira longuement savourant également les rayons venant caresser son visage encore endormi. Comme toujours la garde serait longue et monotone, c’était loin d’être sa tâche préférée en tant qu’obsidienne, mais ils devaient tous y passer afin que ce soit équitable. La dynnienne en avait l’habitude désormais. Sa toute première mission du genre avait bien failli tourner au fiasco. Cela devait faire moins d’un mois qu’elle était parmi eux, et il avait été décidé qu’elle se retrouverait non pas avec son mentor mais avec le chef de garde en personne, Lance à l’époque, afin de la former au mieux aux protocoles de surveillance et d’ouverture des portes. Le début de nuit fut rude en connaissances, le faelien en demandait beaucoup à ses nouvelles recrues afin qu’elles atteignent le meilleur des niveaux, mais le désastre Delfyn avait beaucoup à rattraper. Le premier mois à Eel avait été éreintant, il n’y avait pas un jour où elle ne regrettait pas sa décision d’être restée et sa motivation avait lourdement chuté. La dynnienne se demandait comment elle réussirait à tenir et surtout, elle se questionnait sur un futur départ. Après les dernières explications, elle avait effectué avec attention sa première ronde. Delfyn n’avait pu cacher sa surprise lorsqu’elle constata que la présence glaciale de Lance avait été remplacée par celle d’un confrère qu’elle n’avait encore jamais croisé. Ce fut ainsi qu’elle avait fait la rencontre de Valarian.
Peu habituée à garder les yeux ouverts au beau milieu de la nuit, les paupières de Delfyn s’étaient faites lourdes et la fée avait commencé à somnoler durant le tour de garde de son collègue. Ce fut le retour de Valarian qui la réveilla en sursaut. Le désespoir ne tarda pas à prendre part de la jeune femme lorsqu’elle se rendit compte qu’elle avait une nouvelle fois échoué, et d’autant plus sur une tâche des plus simples. Delfyn avait dû s’excuser un milliard de fois à l’obsidien qui n’avait jamais mentionné cet incident à leur chef. Face à la détresse de la fée qui avait complètement craqué, Valarian avait été des plus patients et encourageant, une chose pour laquelle Delfyn lui serait toujours reconnaissante. Ce soir-là il avait été le coup de boost dont elle avait eu besoin pour se reprendre en main.

Lorsque Valkyon fut de retour, la fée constata à quel point elle avait été plongée dans ses pensées et peu concentrée sur son travail. Delfyn grimaça avant de tapoter ses joues pour se reprendre. Elle n’était plus la petite fée fragile et perdue qu’elle avait été dans le passé. Si sa première motivation pour entrer dans la garde avait été la curiosité de découvrir un nouveau mode de vie, elle s’y sentait désormais à sa place.

꧁꧂

Une bonne partie de la journée s’était écoulée. Delfyn et Valkyon avaient alterné rondes et discussions pour faire passer le temps, prenant des nouvelles l’un de l’autre. L’obsidien lui avait promis d’être désormais un peu plus disponible pour elle, ce qui avait suffit à embellir la journée de la fée. Kiel n’avait pas non plus bougé de son poste. Il avait rarement quitté Delfyn ces derniers jours hormis pour aller jouer avec d’autres familiers à plumes ou pour partir en exploration. Alors lorsque l’oiseau se redressa d’un coup pour partir en trombe, la fée s’affola tout de suite, cherchant du regard ce qui avait pu le faire partir. Au loin elle vit l’oiseau voler vers une forme dans l’eau à l’horizon et la dynnienne comprit immédiatement. Le lapy avait senti le retour de son propriétaire. Elle appela Valkyon pour l’en informer, un sourire se dessinant sur ses lèvres à l’idée de leur retour bien qu’elle soit déçue de ne pas pouvoir descendre sur la plage pour les accueillir. L’obsidien sonna la cloche dédiée à l’annonce de retour des troupes afin de prévenir le QG. Peu de temps après, une petite troupe se dirigea vers la plage. Abandonnant momentanément la surveillance de son côté, la fée sortit une longue vue pour satisfaire sa curiosité. Parmi le groupe se trouvait également Chrome qui attendait impatiemment le retour de Karenn. Alajéa se tenait à quelques mètres, espérant pouvoir raconter les derniers ragots à la petite vampire. Un petit groupe de femmes était dans un coin de la plage, probablement dans le but de mettre la main sur Nevra. Delfyn lâcha un rire en voyant une banderole dans le lot et secoua la tête avant que son regard ne se pose sur une masse bleue.

“Pincez-moi je rêve. Il fait quoi celui-là.”

La curiosité de la demoiselle était à son paroxysme, tenait-elle là le meilleur ragot d’Eel ?! Delfyn n’en croyait pas ses yeux, Ezarel se tenait là, adossé à l’escalier de pierres. Assez prêt pour pouvoir accueillir les aventuriers mais en retrait pour ne pas attirer l’attention. Pourquoi était-il là ? Le bateau accosta et les gardiens ne tardèrent pas à en descendre. Nevra et Karenn en premier, la plus jeune d’abord, pressée par son frère qui avait bien l’intention de prendre un bain de foule. Valarian fut le suivant, Kiel à ses côtés, il discutait avec la lorialet qui tenait à peine debout.

“Le jour où Medea dormira ce sera la fin du monde je pense” nota Delfyn pour elle-même.

Elle était cependant étonnée de voir l’Obsidien l’aider et non le vampire, depuis quand laissait-il passer une occasion en or comme celle-ci ? Elle tourna de nouveau la longue vue vers le chef de l’Absynthe qui s’était redressé en voyant la lorialet arriver. Un raclement de gorge la sortit de sa contemplation. Elle se redressa, rangeant la longue vue en adressant un sourire désolé à Valkyon.

“Je regardais juste si l’arrivée se passait bien, je ne serais pas une garde digne de ce nom si je ne m’en assurais pas.” se défendit Delfyn face à son ami qui leva les yeux au ciel bien que ses traits s’étaient momentanément déformés en un rictus amusé.

꧁꧂

L’agitation sur la plage contrastait avec la lenteur avec laquelle Andromedea rejoignait la terre ferme. La main de Valarian tenait fermement son corps frêle contre lui pour ne pas qu’elle s'effondre de fatigue. Elle reconnut la voix d’Ezarel au milieu du brouhaha ambiant et des cris des admiratrices de Nevra.

“Que sait-il passé ?”

L'inquiétude étranglait le timbre habituellement nonchalant de l’alchimiste. Sa main avait malgré lui gagné le front de la lorialet afin de s’assurer qu’elle n’était pas brûlante. Valarian l’observa silencieusement, il ne l’avait jamais vu aussi troublé et osa à peine répondre. Medea retira la main de son ami avec délicatesse.

“Je vais bien Ez, je suis juste épuisée. Je vais aller faire mon rapport et filer dormir.”

L’elfe soupira alors qu’il la regardait se dégager doucement de l’obsidien. Andromedea remercia Valarian qui prit la direction de la bibliothèque pour y faire son rapport. Elle jeta un rapide regard en direction de Nevra qui prenait un bain de foule, un grand sourire au visage. Il était débordant d’énergie et d’entrain. Après ces quelques jours à le voir à moitié conscient, Medea était profondément soulagée de le voir souriant. Ses yeux croisèrent rapidement l’iris gris de l’ombre qui détourna le regard vivement après avoir vu Ezarel, son sourire disparaissant une fraction de seconde. Une sensation de malaise s’empara immédiatement de la lorialet qui déglutit calmement.


“Allez viens, on va faire ton rapport et je veille à ce que tu files à l’infirmerie.”

La voix de l’elfe et sa main sur son épaule fit sursauter Andromedea. Elle hocha calmement la tête avant de reprendre la direction de la garde, Ezarel passant son bras par-dessus son épaule pour l’aider.

“Ne te sens pas obligé de me toucher, je sais que tu déteste ça..
_ Accepte mon sacrifice et boucle-la Medea, répondit Ezarel, je vais pas te laisser traumatiser toute la garde avec ta démarche de nzambé. direction l’infirmerie, tu joueras avec la paperasse ce soir.”

Elle capitula sans broncher et le laissa la conduire jusqu’au domaine d’Eweleïn.

꧁꧂

Le jour avait décliné et la relève venait de délivrer Delfyn de sa tâche. Elle partit immédiatement à la recherche d’Andromedea. La lorialet avait l’air anormalement exténuée de cette mission et, connaissant l’état de la forêt, elle s’inquiétait. Elle se dirigea premièrement à l’infirmerie mais l’infirmière lui indiqua que Medea avait été envoyée dans sa chambre. La dynnienne voulait savoir comment allait son amie et, surtout, ce que pouvait lui demander Ezarel dès son retour. Alors qu’elle approchait de la chambre de l’enfant de la lune, elle fut surprise d’entendre des bruits de voix dans le couloir. L’elfe bleu était appuyé dans l’encadrement de la porte ouverte de Medea et ils semblaient en pleine discussion.

“Qu’est-ce qui c’est passé au juste ?
_ Si tu me laissais aller faire mon rapport tu le saurais, soupira la lorialet, c’est juste un accident.
_ Ça ressemble pas vraiment à un emplacement accidentel si tu veux mon avis.
_ Ta présence ici non plus si je peux me permettre Zaza, les coupa Delfyn avec un regard suspicieux, je peux savoir ce qui t’emmène dans la chambre de ma femme ?
_ Delfyn ! Je me demandais où tu étais passée.”

Le visage rayonnant de la lorialet mit un sourire sur le visage de ses deux invités qui se lancèrent un regard de travers dans la foulée. Ezarel poussa un soupir avant de poser ses yeux dans ceux de la propriétaire des lieux.

“On en reparle demain d’accord ?
_ Ce n’est rien de grave Ez, lui assura la Medea, va profiter de ta soirée.
_ Tu prends un peu trop la confiance pour me dire ce que je dois faire, lui répondit l’elfe en riant avant de se tourner vers la fée qui les avait interrompus. L'embête pas trop longtemps, il faut qu’elle se repose.
_ Cause toujours, je sais que t’es au moins mille fois plus épuisant que moi.”

Medea leva les yeux au ciel devant leur chamaillerie et fit un signe de main à Ezarel qui quittait le couloir sous le regard d’azur de la dynnienne. Cette dernière attendit un instant avant de se tourner vers son amie.

“Medi c’est quoi ça ?
_ Ça quoi ?
_ Ezarel ? Dans l’encadrement de ta porte ?
_ Delfyn, il va falloir que j’aille faire mon rapport en vitesse. Tu ne préfères pas que je te raconte comment s'est passée la mission en chemin plutôt ?”

Il y eut un petit silence, bien sûr que si elle voulait savoir mais elle trouvait ce comportement bien trop suspect. Valarian lui avait dit que tout s’était bien passé mais le pansement au cou de son amie semblait indiquer le contraire.

“D’accord, mais je veux savoir ce qu’il se passe avec l’elfe après.”

Medea pouffa de rire en hochant la tête mais elle n’avait pas vraiment l’intention de se laisser faire. Elles se mirent donc en route pour la salle du cristal, leurs voix brisant le silence des couloirs.

“Qu’est-ce que tu veux savoir exactement ? Je suppose que tu ne veux pas le rapport en entier.
_ Non, Valarian m'a tenu au courant de l’avancée de la mission grâce à Kiel, mais j’ai pas eu la fin. La suite s'est bien passée ?
_ Nevra nous a fait une petite frayeur mais rien dont je ne pouvais venir à bout.”

Delfyn reporta son regard sur la lorialet et décida de porter le sujet sur le bandage, après tout c’était un bon moyen de reboucler sur l’elfe après.

“Il s’est passé quelque chose ?
_ Je te l’ai dis Nevra nous a fait une frayeur, j’ai mal calculé les effets de ma première potion de soin et c’est parti un peu en cacahuète. Mais je vais bien, tu en as la preuve devant toi.
_ Comment ça ? Tu ferais mieux de préciser si tu ne veux pas que je l’étripe pour avoir posé la main sur toi.
_ C’est fou dans un autre contexte tu serais aux anges, commenta Medea avec un sourire amusé.”

La remarque de son amie participa à tirer un sourire à la fée. En effet, elle était la première à pousser la lorialet dans les bras de Nevra dès qu’elle avait l’occasion de les voir tous les deux ensemble. Delfyn s'apprêtait à revenir à l'attaque mais leurs pas les avaient déjà conduite devant la salle du cristal.

“Je file Fyfy, on  se retrouve après ?
_ Je pense que tu vas devoir rester un petit moment en haut, Andromedea.”

Un frisson tout entier parcouru le corps de la lorialet. Cette voix douce et pourtant si froide n’était pas celle de la dynnienne, mais celle de Leiftan qui venait de rejoindre la porte menant à la salle du cristal. Le second de Miiko les observa un petit moment, dardant ses émeraudes sur les cicatrices ornant les omoplates de Medea. Cette dernière, mal à l’aise de les savoir à vue, chercha à les recouvrir en soupirant bruyamment, fit un signe de main à l’intention de son amie et disparut dans le colimaçon menant à la kitsune.
La fée regarda longuement Leiftan. Elle avait déjà entendu Medea dire qu’ils ne s’entendaient pas mais elle les avait rarement vu interagir.

“Ah oui, tu peux vraiment pas la sentir… Moi qui te croyait doux comme un agneau, je suis presque déçue, vous feriez un beau couple. Si on oublie les regards noirs bien sûr.”

L’horreur passa sur le visage du lorialet mais un rire lui échappa quand il compris que la dynnienne cherchait seulement à détendre l’atmosphère. Il décontracta sa mâchoire et plongea ses yeux émeraudes tout droit dans ceux de Delfyn qui sursauta un peu devant tant d’assurance.

“Je ne lui fais pas confiance, répondit simplement le blond.
_ Il serait peut-être temps de t’y mettre, ça fait quatre ans qu’elle est au service de la garde.
_ Elle reste une valraven, tu ne pourras jamais le changer Delfyn, c’est une tueuse par nature.”

Delfyn ne sut même pas comment réagir à cette réponse. Ses oreilles bourdonnaient, elle n’en revenait pas. Elle avait beau ne pas savoir ce qu’était un valraven, elle ne voyait pas en quoi l’origine de Medea faisait d’elle une meurtrière aux yeux de Leiftan ?!

“Miiko ne l’aurait pas fait rejoindre l’étincelante si elle était une menace pour nous.
_ Tu es bien naïve Delfyn… Les valraven ne se sont pas éteint par accident mais par nécessité.  expliqua Leiftan d’une voix calme.
_ Visiblement ils ont décidé de laisser un des leur allumé du coup.” Blagua la fée avec un petit clin d'œil.

Le lorialet poussa un soupir malgré son rire amusé et secoua la tête avant de reprendre la parole, le regard bien plus sérieux qu’avant.

“Je n’essaie pas de changer ton avis Delfyn, mais méfie toi d’elle. Tu ne sais pas quand elle décidera d’annoncer ta mort dans un de ses présages.”

La discussion prenait une drôle de tournure et une étrange sensation d’inconfort venait de gagner la dynnienne. La posture droite, l’air déterminé et la voix confiante du second en chef pourraient presque faire douter Delfyn au sujet de son amie. Une odeur enivrante titilla ses narines et un léger bourdonnement envahit son esprit, comme si on essayait d’endormir sa conscience. Elle secoua la tête violemment pour remettre de l’ordre dans ses idées, Medea avait bravé le danger de nombreuses fois pour les sauver. Si Leiftan ne voulait pas lui faire confiance, elle avait pourtant mérité sa place. Ce dernier soupira en brisant enfin le contact de leurs yeux avant de reprendre d’un ton plus posé.

“Je m’inquiète juste pour la sécurité de la garde et c’est mon rôle de mettre en garde Miiko quant à ses décisions mais c’est elle qui a le dernier mot. Je n’ai pas l’intention de faire du mal à Andromedea mais je ne te cache pas que, si l’occasion venait à se présenter, je n’hésiterais pas une seule seconde à la faire quitter la garde. Pour l’instant elle n’est pas dangereuse, mais elle n’a déclenché ses visions que très récemment, ce n’est que le début. Sur ce, je te souhaite une bonne soirée.”

Un sourire d’ange ornait son visage, sa main empoignait délicatement l’épaule de l’obsidienne avant qu’il ne la dépasse pour rejoindre sa chambre. L’odeur et les bourdonnements venaient de disparaître, il ne restait plus qu’elle dans le couloir et le bruit feutré des pas de Leiftan.

“Qu’est-ce que c’était que ça.” soupira la fée, perplexe.

Jetant un dernier regard à la silhouette de Leiftan qui disparaissait, la jeune femme reprit conscience de son environnement. Elle avait à peine souvenir de l’échange qui venait d’avoir lieu. Delfyn en retenait seulement une étrange sensation, comme si elle se réveillait d’un rêve. Elle tourna les talons peu après, elle verrait Medea demain.

꧁꧂

Comme convenu la veille, Andromedea avait rejoint Delfyn sur un coin reculé de la plage afin de ne pas être interrompue par le premier curieux.

“Et du coup, cette histoire avec Zaza ?” Demanda sans plus attendre la dynnienne.

La lorialet soupira et fixa un instant le ciel avant de plonger ses yeux dans ceux de son amie.

“Je préfèrerais éviter de mettre au courant toute la garde…
_ Mais y a un truc ?!
_ Rien de sérieux. C’est pour ça que je préfère que ça ne s'ébruite pas. On fait ce qu’on veut mais on se voit régulièrement. J’ai pas envie d’avoir d’ennuis avec Ewe…
_ Il y a besoin de couvrir laquelle de tes bêtises encore ?”

Le duo se tourna vivement vers le propriétaire de la voix qui n’était autre qu’Ezarel. Medea poussa un soupir de soulagement tandis que Delfyn en profitait pour se redresser, époussetant sa robe sur laquelle s’étaient accrochés de multiples grains de sable.

“Je suis donc destinée à te voir dès que je veux profiter de Medi ? se plaignit la fée.
_ T’iras te plaindre à Nevra, c’est lui qui n’a pas voulu venir la chercher, Miiko a convoqué l'Étincelante.”

Medea se redressa doucement et suivit son collègue, après avoir lancé un regard désolée à son amie. Pourquoi Miiko les convoquait-elle aussi soudainement ? Leiftan venait à peine de revenir et elle ne lui avait rien signalé après son rapport. Alors qu’elle était plongée dans les méandres de sa mémoire, elle trébucha sur les pans de sa robe avant d’être rattrapée in extremis par Ezarel qui prit le temps de la redresser avant de la lâcher.

“Je ne pensais pas que ne pas voir Nevra te mettrait dans tous tes états, les lovigis se sont chamaillés ?”

Le rire de Medea lui répondit mais elle prit plus de temps avant de reprendre la parole.

“ Je ne pense pas, désolée de briser tes rêves.
_ Tu ne penses pas ?
_ C’est bizarre depuis la dernière mission… Il doit avoir besoin de son espace après m’avoir supporté pendant trois jours.
_ C’est vrai que supporter ta maladresse n’est pas facile tous les jours.”

L’alchimiste garda son regard sur sa collègue, remarquant de nouveau le pansement à son cou. Son nez se fronça un peu, ce n’était toujours pas guérit visiblement. Andromedea sourit en secouant la tête en voyant son air inquiet et passa instinctivement la main dessus sans se retourner. Un soupir passa la barrière de ses lèvres alors qu’elle entrait dans la salle du cristal après avoir salué Jamon qui en gardait l’entrée. Miiko se tenait au milieu de la salle avec Leiftan et Valkyon. Ykhar et Kero discutaient en relisant les pages du dossier que tenait la brownie, Jamon avait remonté les marches à la suite de Medea.

“Ah ! Andromedea te voilà, nous allons pouvoir commencer. Nevra n’était pas avec toi ?” demanda immédiatement la brune en remarquant l’absence du vampire.
“Non, mais il ne devrait pas tarder.” répondit la lorialet en souriant.

La kitsune hocha la tête en signe de réponse tandis que le retardataire venait de les rejoindre, esquivant le regard du chef de l’Absynthe qui dardait sur lui. Ezarel était sûr de l’avoir croisé devant l’escalier avant d’aller chercher Medea. Leiftan se racla la gorge pour attirer l’attention et le silence se fit. Les membres de la garde Etincelante se tournèrent tous vers la cheffe d’Eel, la tension de la salle montant presque immédiatement.

“Je sais que je ne vous ai pas vraiment laissé le temps de reprendre vos forces Andromedea, Nevra et Leiftan mais une réunion d’urgence s’impose. L’attaque d’Ashkore envers le cristal nous a forcé à accueillir beaucoup de personnes ces derniers mois et plus de monde dit plus de bouches à nourrir. Les provisions s’amenuisent dangereusement.”

Chapitre 12 : Ravitaillement d’urgence

     Chacun acquiesça gravement, marquant la prise en compte de l'information.  Ceux qui étaient restés au QG ces derniers jours avaient vu la quantité dans leur assiette diminuer et se doutaient qu’un ravitaillement n’allait pas tarder à être nécessaire.

“Avons-nous le temps de rassembler de quoi organiser une mission de ravitaillement Miiko ?” s’enquit calmement Medea.
_ Selon Leiftan, oui. Nous devrions avoir assez de nourriture pour trois ou quatre semaines avant que ça ne devienne ingérable. C’est pour cela que je vous ai réuni. Nevra, c’est toi qui gèrera la partie ravitaillement. Tu seras avec Valkyon, Valarian, Karenn et Delfyn. Leiftan s’occupera de l’équipe en charge de récupérer les matériaux pour l’ouverture du portail avec Ezarel, Chrome, Alajéa et Andromedea.”

Les yeux de cette dernière s’ouvrirent comme des soucoupes, c’était quoi cette équipe infernale ?! Non seulement elle allait devoir supporter les chamailleries du protégé de Delfyn et de la sirène mais en plus elle allait devoir supporter les regards assassins du second de Miiko. En voyant l’air dépité de ce dernier, elle en déduit que ce n’était clairement pas de bon cœur qu’ils se retrouvaient ensemble.

“Je sais très bien ce que vous êtes en train de vous dire, reprit la kitsune. Vos enfantillages devront attendre. Je ne peux décemment pas me passer d’une des meilleures alchimistes d’Eel pour ouvrir un portail ou des connaissances de Leiftan. ”

Medea hocha simplement la tête, elle ne pouvait rien dire de toute manière : elle et son congénère s’étaient souvent disputés et avaient désormais interdiction d’échanger directement en salle de cristal si ce n’était pas pertinent pour la réunion. Miiko frappa de son bâton les dalles en marbre de la salle avant d’interroger du regard les membres du conseil.

“Des questions ?
_ Oui, intervint l’elfe, combien de jours avons-nous pour rassembler les ingrédients nécessaires ? La plupart sont extrêmement compliqués à obtenir et ouvrir un portail demande beaucoup de préparation.
_ Quasiment trois semaines Ezarel, nous avons compté quatre jours pour le ravitaillement.
_ Trois devraient suffir Miiko, intervint Nevra, ce n’est pas ma première expédition, et il faut prioriser la stabilité du portail. Nous n’avons plus de larme de dragon et on est loin de pouvoir s’en procurer une en une semaine.
_ On m’a rapporté des cas de trafic de composants de portail, répondit calmement Leiftan. Je vais me pencher dessus pour voir s’il n’y a pas moyen d’en dégoter une, en parallèle on peut essayer de produire un substitut grâce à de la pyrite. C’est moins stable mais on n’aura pas mieux en si peu de temps.”

Après avoir discuté un moment des derniers détails techniques, la réunion prit fin et Miiko fit convoquer les gardiens assignés à cette mission qui n’avaient pas encore été informés ainsi que les deux chefs d’escouades. Medea avait quitté la salle pour s’enfoncer dans les couloirs de la garde afin de rejoindre sa chambre mais les grandes jambes d’Ezarel l’avaient rattrapé bien vite et il venait de lui barrer le passage, les bras grand ouverts pour empêcher la fuite de la jeune femme qui poussa un profond soupir. Elle voulait juste décompresser un peu avant de préparer ses bagages.

“ Comme si j’allais te laisser filer sans infos. Crache le morceau, je t’ai laissée avec Delfyn hier.
_ Je me suis accrochée à une branche, rien de bien grave. Je me suis soignée ce sera comme neuf d’ici demain.”

L’elfe se redressa en fixant ses yeux dans ceux de la lorialet. Leur couleur était un mélange de bleu et d’opale dont les cils d’argent donnaient cet air complètement hors de la réalité. Rien ne transparaissait de ces deux billes mystérieuses, il était impossible de savoir ce qu’elle pouvait bien avoir en tête. Alors qu’il se noyait dans ses yeux, l'elfe oublia presque de respirer. Ezarel soupira un peu, il connaissait assez son ancienne apprentie pour être certain qu’elle mentait. Cet air assuré, cette nonchalance dans la voix…

“Une véritable joueuse de flûte, lui reprocha-t-il
_ C’est pas justement pour ça que je te trouve ici un jour sur deux ?” lui répondit-elle d’un air innocent.

L’alchimiste la toisa, il n'était pas d'humeur à batifoler. Soudainement, il arracha d’un geste vif le petit bout de bandage qui commençait à se décoller. Andromedea se recula un peu trop tard et sa main se plaqua immédiatement sur la plaie à son cou, poussant malgré elle un petit cri de douleur. La culpabilité s’empara d’Ezarel qui essaya de la rassurer mais elle venait de s’enfermer dans sa chambre. Il vint calmement frapper à la porte de la chambre de la fugitive pour obtenir des explications et potentiellement s’excuser mais seul le silence lui répondit.

“Je vais pas lâcher l’affaire, on en discutera demain.
_ Vraiment Zaza, à mon souvenir, ta chambre c’est là-bas, tonna la voix enjouée de Delfyn qui venait de rejoindre le couloir après avoir reçu l’ordre de mission. J’croyais que ça devait rester secret votre petit manège, bouge de là avant que je décide d’aller crier sur tous les toits que tu fricotes avec ma Medi.”

L’alchimiste soupira en fronçant les sourcils, Delfyn n’était pas sensée être au courant de cette histoire. Il en conclut que Medea n’avait pas tenu sa langue et pesta intérieurement avant de reprendre son air suffisant pour menacer la dynnienne à son tour.

“Je serais prêt à faire croire que c’est parce que tu veux sa place Delfyn.
_ Prépares toi à recevoir tes meilleurs câlins si tu fais ça. Quitte à vivre l’enfer, autant t’en faire profiter.”

Ezarel haussa simplement les épaules, il savait qu’elle n’irait pas mettre Medea dans une situation délicate. Il déposa un dernier regard en direction de la porte de la lorialet et soupira avant de rejoindre sa chambre tandis que Delfyn continuait sa route dans les couloirs.

꧁꧂

“Je ne le répéterai pas, c’est compris Andromedea ?”

La lorialet soupira bruyamment avant de répondre d’un hochement de tête à Leiftan qui leur présentait la marche à suivre pour cette mission. Medea était chargée de plusieurs choses: la première récupérer les ingrédients pour une potion d’Oblivisci Momentum, communément appelé l’oubli en bouteille. La deuxième, trouver de la pyrite pour pouvoir remplacer la larme de dragon, du lapis lazuli et le plus important : des fleurs de Selenicereus pour ouvrir le portail. Si la mission ressemblait à simplement remplir une liste de courses. Andromedea aurait préféré de loin celle d’Alajéa qui avait écopée des ingrédients les plus communs et simples à obtenir. Et pourtant toute l’équipe savait qu’ils devraient probablement compenser une des bourdes de la dernière recrue de l’Absynthe au dernier moment. Cette dernière osa enfin parler.

“N'étions-nous pas censés être cinq ? Pas que la présence de Chrome me manque réellement, moi je m’en fiche. Mais si tu ne veux pas te répéter Leiftan, tu aurais peut-être dû l’attendre.
_ Chrome ne viendra pas, se contenta simplement de répondre Karenn qui regardait ses ongles avec un air absent, je viens à sa place.”

Karenn avait catégoriquement refusé de partir en mission avec les brutes de la garde et son frère, il allait être infect rien qu’à l’idée qu’elle passe le portail. Elle s’était débrouillée pour échanger sa place avec Chrome qui, à défaut de pouvoir profiter d’un cours de géologie avec la lorialet, se retrouvait avec son chef de garde adoré et Delfyn. Tout n’était pas non plus perdu pour l'adolescente à la chevelure bicolore, elle était en mission avec Alajéa avec qui elle avait tissé des liens très forts durant ces derniers mois. Karenn comptait bien fausser compagnie à la lorialet ou la forcer à prendre la sirène avec elles.

“Tu m’as enlevé mon binôme Karenn, je ne peux pas faire cette mission toute seule. Les selenicereus poussent et éclosent à la pleine lune dans des puits ou des cavernes rocheuses, expliqua Medea. J’ai besoin de quelqu’un pour assurer ma descente. Je suis prête à confier ma vie entre tes petites mains, ne me fais pas regretter ce choix.
_ Tu n’as qu’à partir avec Leiftan, tenta la plus jeune.
_ Parle mieux à ta future belle-soeur, taquina Ezarel en souriant.
_ Ce ne sera JAMAIS ma belle-soeur.” grogna l’adolescente les yeux brûlant de rage et les crocs presque entièrement dévoilés.

Ils terminèrent d’assigner les tâches à tout le monde. Ezarel resterait dans les environs d’Eel, il était en charge du stockage et la préparation des composants de la potion ainsi que de l’ouverture du portail. Leiftan se chargeait du nectar d’or et de  trouver une piste au sujet de la larme de dragon. Il vérifierait aussi que la pyrite soit bien infusée. Medea et Karenn, quant à elles, partiraient sous peu pour le désert, afin de récolter les selenicereus et la pyrite, plus précisément pour le village souterrain de Taniyn. On disait qu’il était construit à la vertical, creusant de plus en plus vers le centre de la terre et que les plus grands forgerons d’Eldarya l’habitaient. Taniyn était comme une légende, on racontait que les derniers niveaux possédaient des gorges de lave d’un bleu incandescent. Medea y était allé déjà une fois afin d’y récupérer des bleuets de feu pour une de ses évaluations au sein de l’Absynthe mais elle n’avait jamais été plus bas que le niveau 2 de profondeur. C’était un voyage de quelques jours, elles devraient être rentrées rapidement et avec tout si la chance leur souriait.

“Nous partons en fin d’après-midi  Karenn pour éviter de traverser le désert sous le soleil. On se retrouve à la grande porte” indiqua Medea.

L’adolescente soupira un peu et acquiesça pour aller faire ses affaires, suivie de près par Alajéa qui jetait un regard un peu agacé à la lorialet. Cette dernière discutait encore des derniers détails avec ses deux collègues de l'Étincelante. La sirène attendit d’être assez éloignée d’eux pour se tourner vers la vampire.

“J’ai vraiment un mal fou avec elle, elle se prend vraiment pas pour n’importe qui. Elle pense que juste parce que Nevra discute avec elle, elle peut te donner des ordres ? commença-t-elle, une pointe d’amertume dans la voix.
_ Medea ?! Elle vient d’être promue donc elle est encore en train d’affirmer son autorité mais elle n’est pas méchante, répondit en riant un peu Karenn. Je suis plutôt contente d’être avec elle, c’est l’une des seules qui me laissent essayer des choses en mission. Elle devrait être d’accord pour que tu viennes avec nous.
_ C’est vrai ?!” s'enthousiasma Alajéa qui n’était pas ravie de se retrouver assignée à la garde pour cette mission.

En effet, elle ne s’entendait pas du tout avec Ezarel et avait conscience d’avoir écopé des tâches les plus inutiles de cette mission. La sirène était une gardienne et  elle avait bien l’intention de prouver qu’elle n’était pas une incapable. Karenn se chargea de la convaincre de les accompagner et elles allèrent faire les affaires toutes les deux en gloussant.

꧁꧂

Toc toc toc.

On venait de frapper à la porte d’Andromedea qui était complètement absorbée par le bijou qu’elle essayait d’attacher à ses cheveux. Elle avait fini de préparer son départ: pierres, potions et onguents étaient soigneusement rangés dans une pochette en cuir qui reposait sur sa petite pile de linge plié dans son sac de voyage. Son carnet était posé à côté de ce dernier et attendait patiemment que sa propriétaire finisse de se changer pour rejoindre le reste.

“ Eldarya appelle Medea ! Je sais que tu es là, viens m’ouvrir.”

La voix d’Ezarel ramena Andromedea à la réalité. Elle sursauta un peu et lâcha ses cheveux d’argent tressés et vint ouvrir à son invité surprise. Elle plongea immédiatement ses yeux dans les siens, l’air clairement intrigué.

“Excuse-moi, qu’est-ce qui t'amène ?
_ C’est pas trop tôt. J’en ai marre de me faire trouver par Delfyn, je rentre.” soupira l’elfe en entrant directement.

Medea leva les yeux au ciel en riant, se décalant un peu pour le laisser passer et referma la porte derrière lui avant d’aller s’asseoir sur son tabouret, dos au piano, tandis qu’Ezarel jetait un rapide coup d’oeil sur les bagages avant de s’asseoir à côté.

“Fais comme si c’était ta chambre hein.
_ Merci, j’attendais que tu me le propose ! répondit d’un ton enjoué l’elfe.
_ Si tu t’installes c’est que t’es pas là juste pour me donner le top départ.
_ En effet, je vois que tu as pensé à mettre des vêtement adéquats pour ta mission. Sympa cette petite blouse.”

La lorialet s’observa un instant avant de le remercier. En effet, elle avait changé son pantalon en cuir et sa cape blanche pour une tenue un peu plus adaptée pour une traversée de désert. Elle portait une blouse couleur sable, maintenue par une ceinture émeraude dont les pans étaient de la même couleur que son vêtement. Ses jambes étaient recouvertes d’un pantalon en toile vert foncé surplombé d’une jupe en voile jaune et bleue. La petite sacoche à potion de Medea, sertie d’un pendentif de lune, cintrait sa silhouette et décorait sa ceinture tandis que de grandes bottes en cuir à semelles plates et légèrement recourbées terminait de l’habiller. Un foulard doré était soigneusement plié sur son lit, elle le porterait pour se protéger du soleil et empêcher le sable d’entrer dans ses yeux.

“Je viens de me rappeler que la première fois tu t’étais clairement faite avoir par le climat.
_ Comme quoi j’apprends de mes erreurs. Tu es sérieusement venu me parler de mode ?”

Ezarel haussa les épaules avec un petit rire, il cherchait tout simplement une excuse pour lui parler avant qu’elle ne parte pour Taniyn. Il porta son attention sur le carnet de la jeune femme dont il feuilleta les pages distraitement. Les trois quarts était écrit dans une langue qu’il ne pouvait pas lire mais dont il saisissait le contenu grâce aux dessins et schémas.

“Non, je voulais avoir le fin mot de l’histoire de ce combat avec ta branche, mentit-il à moitié. Apprend à mentir avant de me raconter des sottises la prochaine fois.”

Medea joua un instant avec ses tresses, trifouillant ses cheveux nerveusement à la recherche d’un moyen d’éviter la discussion mais à ce stade il valait mieux qu’elle en parle directement.

“ J’ai pas vraiment envie de parler de ça Ezarel. C’est rien d’important, je vais bien.
_ Je pense être encore apte à juger ce qui est important pour moi, pourquoi tu ne m’en a pas parlé ? Est-ce qu’elle a bien cicatrisé au moins ?” demanda l’alchimiste en reposant le carnet.

Il la regarda un moment avant de se lever pour s’approcher de la jeune femme qui eut un mouvement de recul.

“Medea, ne fait pas l’enfant.
_ Ça va je te dis !
_ T’es vraiment pas possible ! Fais-moi juste voir crétine, j’ai emmené de quoi soigner ta bourde. Sois reconnaissante un peu !”

En fronçant son nez, geste qui avait le don de faire beaucoup rire l’elfe, Medea retira sa main du pansement. Après qu’elle se soit calmée, Ezarel déplaça les mèches d’argent de cette zone pour ôter le bandage, ses doigts glacés sur sa peau arrachant un frisson à la lorialet. Il lui releva légèrement le menton pour pouvoir observer les deux plaies à la lumière avant de lâcher un sifflement.

“ Et bah… Il t’a pas raté. Quel était la potion de base ?
_ Elixir d’Aceso. Évidemment, il n'a pas bu la ration que je lui avais donné en plus.
_ Ah oui, logique que ce soit parti en sucette sans mauvais jeu de mot.”

Le chef de l’Absynthe passa un de ses doigts sur la plaie, provoquant un nouveau frisson à Andromedea qui retint une plainte.

“C’est légèrement infecté, nota-t-il.
_ J’ai nettoyé la plaie pourtant.
_ Je vois ça, mais comme il n’était pas dans un état de contrôle, la morsure n’est pas vraiment ‘propre’ si on peut dire ça comme ça; elle a déchiré la peau de ton cou. Tu veux garder un souvenir ou tu me laisses soigner cette horreur ?”

Elle soupira tandis qu’il fouillait dans sa poche pour en sortir un pot en porcelaine dans lequel se trouvait une pâte verdâtre à l’odeur très forte de plantes. Les iris opale de la jeune femme détaillèrent le contenant un temps.

“Je ne le connais pas celui-là.
_ Faut bien que je garde deux trois secrets quand même. Tu m’avais chipé la recette mais tu n’as pas dû la retenir en elfique. Je te présente ton sauveur. Medea l’onguent d’absinthe, l’onguent d’absinthe Medea, chantonna l’elfe en appliquant la pâte sur la plaie de la jeune femme qui se crispa un peu.  Ah oui, ça brûle un peu.
_ T’es vraiment le roi des idiots !
_ Mais avec grand plaisir Medea.”

Après avoir nettoyé ses mains, Ezarel refit un pansement à sa collègue et posa l’onguent sur le carnet.

“Il rejoint tes bagages, ça devrait soulager l’inflammation et faire en sorte que tu n’aies pas de cicatrice. Heureusement que tu as un col haut, il ne faut absolument pas qu’il soit exposé au soleil. Tu vas devenir une vraie passoire sinon.
_ Charmant…
_ Je te le fais pas dire, avec un truc pareil je ne te touche même plus même avec un bâton.
_ Merci Ez, toujours le mot qui fait plaisir.
_ Ma plus grande qualité. Tu devrais aller discuter avec ton petit chéri, il boude probablement encore un peu mais il va regretter de pas t’avoir dit au revoir.”

En soupirant, Medea replaça ses cheveux devant ses épaules et reboutonna sa blouse pour recouvrir le pansement. Elle n’appréciait pas trop la manière dont en parlait Ezarel.

“ Je croyais avoir été claire Ez, lui reprocha-t-elle
_ De quoi donc ?
_ Tu sais très bien de quoi je parle. Mes relations, mes oignons.
_ Tu fais ce que tu veux avec qui tu veux, en effet.
_ Donc arrête d’essayer de savoir si je me le tape ou pas. Ça ne te regarde pas, pointa la lorialet d’un ton ferme malgré sa voix douce. Ce n'est pas de ma faute si Eweleïn s’est sentie obligée de me faire comprendre comment vous occupez votre temps libre. J’ai rien demandé, je veux rien savoir. Fais la même chose.”

Ezarel la regarda un petit moment sans rien dire avant d’hocher simplement la tête, si ça avait le don de l’agacer, elle avait raison. Ils ne se voyaient que pour tuer la solitude, rien de plus. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, avec qui ils voulaient et l’autre ne faisait aucun commentaire. Pas de questions sur de potentiel partenaire, pas d’attache, pas d’appartenance, pas de baiser.

“Il reviendra me parler quand il en aura envie, reprit-elle. Je pars avec Karenn, il viendra lui dire au revoir de toute manière.
_ Ah, on en a discuté avec Leiftan, tu pars avec Alajéa aussi. Elle a demandé à se rendre utile et il vous rejoint pour la pyrite, il a peur que tu te rates pour la recharge de la pierre dans la lave.
_ C’est une blague ?! J’ai même pas mon mot à dire pour mon expédition ?!
_ Leiftan reste ton supérieur et, honnêtement, j’ai pas envie de l’avoir dans mes pattes.”

Andromedea poussa un profond soupir tandis qu’Ezarel quittait sa chambre avec un petit rire. Non seulement elle allait se coltiner le boulet de l’Absynthe mais elle allait se retrouver avec son très cher collègue lorialet. Elle rangea ses affaires, veillant à ce que l’onguent rejoigne la sacoche de cuir dans son sac et le referma avant de sortir à son tour de la pièce pour essayer de trouver le séducteur en chef de la garde.

꧁꧂

Malgré de longues recherches dans les couloirs de la garde et ses environs, Andromedea n’avait pas réussi à mettre la main sur Nevra. Elle commençait à se dire qu’il l’évitait réellement sans pour autant en comprendre la raison. Elle regarda le ciel, il était temps pour elle de rejoindre les filles à la grande porte. Ses yeux se tournèrent une dernière fois vers les couloirs de la garde avant qu’elle ne sorte pour rejoindre son équipe. Karenn et Alajéa se tenaient à côté de leur Shau’kobow qu’elles monteraient ensemble, la sirène n’ayant pas énormément d’expérience en la matière. Medea quant à elle monterait Canopus, son fidèle destrier depuis maintenant des années. Elle avait eu l'œuf du voclaunn pour son 16ème anniversaire, son père ayant estimé qu’elle était enfin en âge d’avoir son propre familier. Il n’avait pas trouvé meilleur compagnon pour l’artiste qu’était sa fille. Elle s’était toujours bien occupée du Chouchibou de la famille, Cocorico, qui avait pu vivre une vie de millefeuilles de partition et de câlin jusqu’à son dernier souffle. L’arrivée de Canopus avait apporté beaucoup de joie à la petite et était devenue une véritable source de confort. La lorialet secoua la tête en rejoignant la porte, ne souhaitant pas se morfondre, ce n’était pas le moment de repenser à tout ça.

“J’ai bien cru que tu allais nous poser un pimpel, taquina la jeune vampire en souriant.
_ En effet, excusez-moi du léger retard, j’étais prête depuis un moment mais je cherchais quelqu’un.
_ Que tu n’as pas trouvé je suppose…
_ Tout à fait ma petite Karenn, il a besoin de son espace, je lui laisse.”

L’adolescente haussa les épaules, l'air innocent et la lorialet lui fit un sourire avant de secouer doucement la tête, les bijoux de ses cheveux faisant un léger bruit de métal.

“Enfin, ce n’est pas grave… Il ne va pas partir sans dire au revoir à sa sœur.
_ Maligne pour une ancienne, remarqua Karenn.
_ Prend pas trop exemple sur Delfyn, c’est pas comme ça qu’on gagne le respect de ses aînés, et je ne suis pas si vieille, j’ai quasiment le même âge que lui.”

Elles rirent un peu avant que l’enfant de la lune ne se tourne vers Alajéa, un peu inquiète à son sujet. Medea était anxieuse, avoir une sirène en plein désert, c’était prendre de gros risques.

“Alajéa, bienvenue dans l’équipe, tu as prévu de quoi rester hydratée ? Karenn, je ne m'inquiète pas, elle vient d’un village non loin de là et j’ai prévu de quoi me protéger du soleil. Mais toi tu es déjà impacté par la potion pour tes jambes.
_ Je suis assez intelligente pour savoir que le désert n’est pas mon habitat naturel, oui.”

Le ton désinvolte de la sirène stoppa la lorialet dans son élan et provoqua un long silence. Elle détailla un long moment la tenue d’Alajéa et soupira. Elle n’avait pas de quoi se couvrir le visage, ses cheville étaient exposées et elle n’avait visiblement pas pris assez d’eau.

“Je ne voudrais pas que tu sois en incapacité de faire le voyage et que tu te mettes en danger. Il te faut de quoi te couvrir la tête et le visage, le soleil n’est pas ton seul problème, le sable risque de te gêner aussi. Il va falloir que tu couvres tes chevilles pour le même problème et-
_ Je vais crever de chaud si je t'écoute.” la coupa la sirène en levant les yeux au ciel .

Medea fronça les sourcils et serra son poing, elle ne savait pas comment faire pour être écoutée. Elle lança un regard à Karenn qui haussa calmement les épaules. La vampire était prête, elle connaissait les risques de la zone et en avait déjà fait part à son amie. Elle n’était pas responsable d’Alajéa et Andromedea le savait. Après avoir respiré un peu, elle reprit la parole avec un ton plus sérieux.

“Je comprends tout à fait l’envie de faire une grosse mission avec une amie, mais je ne veux pas prendre de risques inutiles. Cette mission est primordiale pour la survie d’Eel, si on la rate ou si on prend du retard, c’est toute la garde et le refuge qui se retrouveront sans nourriture. C’est bien clair ?”

Karenn hocha la tête avec beaucoup de sérieux, elle savait que Medea ne leur rappelait que pour être sûres qu’elles avaient pris conscience des enjeux. Ses yeux pistaches fixaient la lorialet, elle était très fière d’avoir été sélectionnée par Miiko pour cette mission, sa responsabilité lors de l’expédition pour Dynn avait été reconnue et on lui donnait une fois de plus la chance de se prouver utile pour la garde. Alajéa quant à elle malheureusement s’était contenté de hausser les épaules, tout allait bien se passer ce n’était qu’une mission pour récupérer des objets non ? Elles devraient s’en sortir facilement. De toute façon sa part de la mission était déjà remplie, c’était à Andromedea de faire ses preuves. Cette dernière soupira de constater la nonchalance de la sirène et sentit une vague d’anxiété la gagner, elle n’était pas habituée à commander une équipe si peu expérimentée. Ezarel avait passé des mois à lui dire qu’Alajéa était de loin la pire membre jamais arrivée dans l’Absynthe et elle avait souvent cherché à le contredire, mais force était de constater que la sirène n’était clairement pas une flèche.

“Détends toi Medea, on va s’en sortir, assura Karenn. J’ai cru comprendre que Leiftan nous rejoignait pour la dernière phase à Taniyn ?
_ Tout à fait, intervint le principal concerné qui venait de les rejoindre, lui-même prêt à partir. Juste pour être sûr que la pyrite aura bien été transformée en pierre de dragon par Andromedea.
_ Y a pas de raison que notre alchimiste spécialiste en pierre ne s’en sorte pas, nota la jeune ombrette, mais mieux vaut prévenir que guérir.
_ Tu as tout compris, assura le lorialet avec un sourire. Ça me coûte de l’admettre mais Andromedea avait raison quand elle chantait les louanges de sa petite chouchoute.
_ Si ça te coûte tant que ça, va discuter avec Ezarel. Vous êtes toujours d’accord pour dire que j’ai les pires idées de la garde.” lui lança Medea calmement.

Les émeraudes de Leiftan la fixèrent et il poussa un profond soupir avant de rétorquer, l’air faussement innocent.

“Va te réconcilier avec Nevra, ça te calmera probablement les nerfs, si tu vois ce que je veux dire.
_ Je ne suis pas sûre de comprendre Leiftan, éclaire-moi de ta grande sagesse.
_ Tu devrais avoir des dessins dans les mémoires de ta chère mère.” claqua le chef de mission.

Medea le foudroya du regard, n’appréciant clairement pas l'allusion à la débauche de sa génitrice, avant de profondément respirer. Elle ne pouvait décemment pas lui sauter à la gorge de toute manière. Leiftan faisait référence au scandale qui avait secoué les terres lorialets lorsque l’infidélité de la grande Zaniah avait été rendue publique. Medea reporta son attention sur le lorialet avant de répondre d’un ton calme et candide.

“Ah oui ? Je devrais peut-être t’en faire part du coup, un manque de stimulation pourrait expliquer ton caractère de-
_ Ça suffit tous les deux. Essayez de pas vous battre devant les jeunes s’il vous plaît. Elle a bon dos l’étincelante, regardez l’exemple que vous faites.”

Ezarel venait de les rejoindre et les regardait avec un air dépité, il était bien content de rester tout seul, tranquille, dans son laboratoire à Eel. Medea et Leiftan se toisèrent sous le regard amusé de Karenn qui se délectait déjà de leurs disputes à venir une fois loin du QG, vivement que le second en chef les rejoigne. L’elfe porta de nouveau son attention vers Leiftan  à qui il donnait des notes et des potions, ce après quoi le lorialet prit la route. Andromedea soupira et se redressa en lançant un regard à Karenn, un sourire se dessinant sur ses lèvres.

“Allez, en route mauvaise troupe.
_ Attends mon frère m’a pas dit au revoir !
_ Cris plus fort, il viendra peut-être plus vite, se moqua la lorialet.
_ Pas besoin de ça, j’attendais juste que t’arrête de susurrer des mots doux à Leiftan.” répondit la voix suave de Nevra qui venait de rejoindre la grande porte.

Karenn tira langue à sa cheffe d’escouade avant de sauter au cou de son frère. Ils se serrèrent dans leurs bras un moment sous le regard attendri de Medea. Alajéa les regarda un instant avant de se tourner vers la lorialet. Elles ne se connaissaient pas vraiment et c’était délicat pour la sirène de lancer la discussion. La jeune femme aux formes généreuses suivit le regard d’opale de sa supérieure avant d’oser briser le silence.

“Karenn avait l’air de dire que vous étiez proches donc j’étais assez surprise d’apprendre qu’il ne  voulait plus te parler.”

Les yeux de Medea s’écarquillèrent d’un coup, c’était une entrée en matière plutôt surprenante. Ne voulant cependant pas se fier uniquement au jugement d’Ezarel qui, il fallait l’avouer, était une vraie peste, la lorialet essaya de passer outre cette remarque totalement gratuite et désinvolte.

“Je ne vois pas vraiment de quoi tu veux parler, il était probablement juste fatigué de la dernière mission.
_ Oui ou alors il te trouve vraiment trop envahissante et voudrait respirer un peu, claqua Alajéa. Ne le prends pas mal Andromedea, mais je trouve que tu t'immisces beaucoup dans leur relation.”

Incrédule, Medea secoua la tête en cherchant dans le ciel un sens à cette agression. Elle n’avait quasiment jamais parlé avec la dernière recrue de l’Absynthe, qu’avait-elle fait pour mériter autant d’animosité. De quel droit se mêlait-elle de cette histoire d’ailleurs ? Ce n’est pas comme si Alajéa avait le moindre mot à dire sur sa manière de gérer ses relations et avec qui elle interagissait. Vexée, la jeune femme chercha tout de même à calmer l’échange tout en remettant en place l’insolente.

“De deux choses l’une, premièrement, je préfère que l’on m’appelle Medea. Leiftan et Miiko m’appellent autrement, ce sont mes supérieurs hiérarchiques, je le tolère mais je n’aime vraiment pas ce nom. Ensuite, si Karenn et Nevra me trouvent envahissante, ils sont capables de me le faire savoir. Je trouve cette remarque très déplacée de ta part, je suis ta supérieure et on ne se connait pas. Autre chose ?”

La tension était en train de monter et le ton d’Andromedea n’était clairement plus aussi bienveillant que plus tôt. Les yeux aux couleurs de l’océan d’Alajéa ne baissèrent pas d’un cran face aux opales de l'Étincelante, elle n’aimait pas vraiment sa proximité avec les deux vampires et avait déjà du mal à supporter son sale caractère.

“Très clair Andromedea, provoqua la jeune recrue.
_ Qu’est-ce qu’il se passe ici ?”

Le ton que venait d’employer Nevra fit sursauter la sirène qui se tourna directement vers lui. Les bras croisés, le regard dur, le vampire se tenait bien droit aux côtés d’Andromedea qui expliqua calmement la situation.

“Alajéa m’a fait une remarque désagréable.
_ Elle n’est pas ma supérieure directe, lança la sirène, j’ai pas à répondre au moindre de ses caprices.
_ Si tu veux vraiment que ce soit moi, intervint Ezarel, ton supérieur direct qui punisse ton insubordination je vais me faire plaisir. L'Étincelante est la garde de tous tes supérieurs hiérarchiques. C’est bien compris ?
_ Ezarel je peux gérer la situation, tona Andromedea. Merci de ton intervention.”

Son regard soutint celui de l’elfe dont les poings étaient serrés. Medea ne voulait pas les laisser intervenir, elle trouvait le geste déplacé car il remettait en cause la légitimité de son autorité. En ayant besoin d’eux pour faire entendre sa voix, elle donnait raison à la sirène et il était hors de question qu’elle capitule. D’un ton doux et pourtant aussi froid que les geôles de la garde en hiver, elle reprit la parole.

“Je vais te donner un conseil Alajéa, j’ai passé assez d’années ici pour savoir comment ça fonctionne. Si tu veux vraiment que l'Étincelante arrête de te prendre pour une enfant capricieuse incapable de gérer une mission en dehors de la garde, il va falloir que tu fasses tes preuves. À commencer par montrer que tu comprends comment fonctionne la hiérarchie et quel est ton rôle.”

Un voile noir passa rapidement sur les iris habituellement éclatants de la lorialet. Elle n’avait pas haussé la voix mais l’atmosphère était significativement plus écrasante. Alajéa déglutit, refusant de perdre sa superbe, elle tenta de répondre mais la main de Karenn sur son épaule la stoppa dans son geste. A moins que ce ne soit les sourcils froncés de Medea.

“Maintenant, file chercher de quoi couvrir ces chevilles, ton visage et ta tête, prend une gourde supplémentaire. Tu as dix minutes, on partira sans toi si tu n’es pas revenue à temps.”

Andromedea lança un sablier après avoir dit cette phrase et les adolescentes filèrent en courant. L’atmosphère retomba peu après et la lorialet secoua doucement la tête avant de soupirer, elle n’aimait pas avoir à en arriver là. Nevra se rapprocha d’elle avec un sourire de vainqueur avant de passer délicatement ses doigts dans une de ses mèches d’argent. Avec un petit rire, il en sortit une petite plume noire qu’il fit glisser sur le nez retroussé de la lorialet.

“Et bien mademoiselle ? On supporte plus les jeunes ? On a besoin de montrer les crocs pour se faire entendre ?
_ Ça fait pas de mal à Alajéa de se faire remettre en place, ajouta l’elfe qui se rapprocha du duo, elle risque de tester tes limites.”

Medea soupira avant de sourire, poussant doucement la main du vampire pour qu’il arrête de la chatouiller. Elle baissa les yeux avant de les redresser vers ses interlocuteurs qui semblaient extrêmement fiers d’elle.

“Vous savez très bien que j’aime pas ça.
_ De quoi te changer en bête à plumes, taquina Ezarel, personnellement je trouve que ça te va bien.
_ C’est pas parce que ça me rapproche du physique de Taenmil que c’est positif Ez.
_ Oulah abuse pas non plus, tu es le moins élégant des alfelis qui puisse exister.”

Nevra éclata de rire avant de lâcher la petite plume noire et de poser sa main sur l’omoplate de la lorialet.

“C’est ça aussi d’être dans la garde des chefs Medi.
_ J’étais très bien dans ma garde de planqué derrière une paillasse, soupira la demoiselle, mais non. Il fallait absolument que vous me recommandiez à Miiko…
_ Les réunions sont plus drôles avec ta petite tête endormie.
_ Nevra a raison, Miiko est un peu moins tendue depuis que tu nous as rejoins aussi.”

Medea ne put cacher son air peu convaincu, Miiko plus détendue ? Elle avait l’air tout sauf détendue la cheffe suprême d’Eel. La lorialet se redressa avant de souffler un coup pour remettre de l’ordre dans son esprit, elle allait s’en sortir, elle le devait. La main fraîche de Nevra glissa sur son dos, le tissu frottant délicatement la cicatrice sous son omoplate, provoquant un frisson à Medea sous le regard d’Ezarel. Il les observa un petit instant sans intervenir, il y avait comme une légère timidité entre eux, ils étaient pourtant tout le temps à se chercher d’habitude. Ses yeux turquoise dardaient sur la main du vampire qui mettait enfin un terme à leur contact et, malgré lui, un soulagement l’envahit en les voyant maladroitement s’éloigner. Ezarel ignorait réellement d’où venait ce soudain malaise mais il imaginait que la morsure au cou de Medea en soit une des raisons. L’alchimiste se racla la gorge pour leur rappeler qu’il était là et les iris de la lorialet s’accrochèrent directement aux siens, comme on se jette sur une bouée en pleine mer.

“Tu as quelque chose à me dire avant que les filles n’arrivent ?
_ Oui, répondit l’elfe avec un sourire, tu as intérêt à revenir vite. J’ai pas prévu de garder Delfyn trop longtemps.”

Plissant son nez, Medea éclata de rire en secouant la tête avant de reprendre.

“Voyons Ez, je vous laisse justement du temps en amoureux.
_ Je vais finir par regretter de t’avoir laissé en vie dans l’Absynthe.
_ Tu m’adores, on le sait tous les deux.”

Évidemment avait pensé dans la foulée l’alchimiste mais il était hors de question qu’il l’admette, encore moins devant Nevra. Ce dernier les regardait silencieusement depuis tout à l’heure. Il finit par sourire, s’il lui était impossible de connaître les pensées de leur amie, il voyait bien dans le langage corporel d’Ezarel qu’il était pendu au moindre fait et geste de la lorialet. Le vampire se demandait s’il en avait conscience et, le connaissant, l’alchimiste n’était pas prêt d’accepter cette vérité. Il s’apprêtait à leur faire une remarque quand Alajéa et Karenn revinrent en courant, il leur laisserait le bénéfice du doute pour l’instant. Après une dernière vérification et de courts aurevoirs, les filles quittèrent l’enceinte de la garde et s'enfoncèrent dans la forêt en direction du désert. Elles devraient l’atteindre d’ici quatre jours.